Monsieur le Président, Cher Patrice Martin-Lalande,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d’ouvrir votre journée de réflexion sur les jeux vidéo. Ici, au Palais Bourbon, dans cette salle au nom aussi prestigieux que symbolique de l’importance de l’intervention de l’Etat, et de son soutien au développement des industries clés pour notre pays.
Ainsi, de même qu’ils ont acquis droit de cité rue de Valois, au ministère de la culture et de la communication, les jeux vidéo acquièrent aujourd’hui, grâce à vous, droit de cité à l’Assemblée nationale. Ce n’est que justice. Un jeu vidéo est une œuvre. Les jeux vidéo font pleinement partie de notre culture, ils font appel à des talents particulièrement inventifs, tant sur le plan technologique qu’artistique. Ils relèvent à la fois de l’industrie et de la création.
Les trois membres du Gouvernement qui participent à votre colloque illustrent, par leur présence, les domaines de l’action publique concernés par le développement des jeux vidéo : la culture et la communication, la jeunesse, l’industrie. C’est-à-dire l’intelligence, l’innovation, la créativité.
Je tiens à rendre hommage au président Jean-Louis Debré, d’avoir accordé son haut patronage à cet important colloque et à féliciter Patrice Martin-Lalande, d’avoir pris l’initiative de l’accueillir à l’Assemblée nationale, en l’éclairant de son expérience, car il est l’un des législateurs les plus attentifs aux développements et aux enjeux culturels, économiques, sociaux, sociétaux et politiques des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment dans le cadre de ses missions de co-président du groupe d’études sur l’Internet et de rapporteur spécial de la commission des finances pour les médias.
Il est important en effet que le législateur nourrisse ses réflexions et ses décisions, dans ce domaine en particulier, des échanges, des dialogues, et des débats avec les professionnels et les experts, mais aussi les utilisateurs de ces technologies qui prennent une part croissante dans la vie quotidienne des Français. Il importe qu’il analyse ainsi et qu’il anticipe les évolutions et les innovations.
Quand le cinéma fut inventé, il y a plus d’un siècle, c’était le jouet des techniciens ou un divertissement de foire populaire. Nul ne pensait alors que les créateurs s’empareraient de cet outil pour lui donner la place considérable qu’il occupe aujourd’hui au sein de notre culture.
Un siècle plus tard naissaient les jeux vidéo, qui ont suscité les mêmes interrogations. Mais comme pour le cinéma, la question de savoir s’ils relèvent du ministère de la culture et de la communication ne se pose plus, tant est évident le rôle crucial qu’ils jouent aussi bien dans la création française que dans le secteur des industries culturelles ; tant est évidente également la place qu’ils occupent dans les loisirs des Français, puisque près de 15 millions y jouent régulièrement. Sept enfants sur dix en possèdent, 37% des pères y jouent eux-mêmes. Et contrairement à une idée reçue, de plus en plus de femmes y jouent : elles représentaient 10% des joueurs en 1995, elles sont aujourd’hui 35%. J’ajoute que 45% des foyers sont équipés en PC multimédia et que 25% possèdent une console. Pour les plus jeunes – notamment – le jeu vidéo représente ainsi un pan essentiel de la culture, qui contribue à façonner leur vision du monde et à former leurs références culturelles.
Votre colloque est novateur, en ce qu’il envisage tous les aspects des jeux vidéo, et je vais y revenir dans un instant, les aspects technologiques, culturels, industriels, juridiques, mais aussi pédagogiques, sociaux et psychologiques ou psychosociologiques.
Bien sûr, la technologie du jeu vidéo est en évolution constante et rapide, les innovations se suivent à un rythme effréné, qu’il s’agisse du graphisme en trois dimensions, de l’intelligence artificielle, de la haute définition, de nouveaux périphériques d’interactivité, des nouvelles générations de consoles.
Mais des créateurs se sont progressivement emparés de ces technologies, pour raconter des histoires, imaginer des univers, créer de l’émotion, tout ce qui fait que le jeu vidéo devient lui aussi une véritable création culturelle qui conquiert son public.
J’ai été le premier ministre de la culture à visiter un studio de création de jeu vidéo, à Montreuil, pour y rencontrer les créateurs. Et j’y suis retourné avec Dominique de Villepin.
A l’occasion de ces visites, j’ai été particulièrement frappé, tout d’abord, par la proximité de ce secteur avec le monde du septième art. Le jeu vidéo et le cinéma ne sont pas des concurrents, ils sont bien au contraire tout à fait complémentaires. De plus en plus de jeux s’inspirent de scénarii de films, en reprennent parfois des scènes entières, et utilisent par ailleurs des techniques – de graphisme, d’animation 3D, de capture de mouvement – déjà familières au cinéma. De même, des réalisateurs comme Jean-Pierre Jeunet, Mathieu Kassovitz, Yann Kounen ou Christophe Gans ont été sollicités récemment pour collaborer à des projets de jeu vidéo. Les savoir-faire communs à ces disciplines, les contenus ou les modalités de création, de production et de commercialisation de ces œuvres ne pourront qu’accentuer les rapprochements, à l’avenir, de ces industries qui ont pour point commun essentiel de ne créer que des œuvres uniques.
J’ai été frappé également par l’importance du rôle que jouent les métiers artistiques dans le jeu vidéo. C’est une réalité méconnue, et je le déplore. La création de jeux s’appuie sur de nombreux métiers artistiques : le graphisme, la musique, et même l’architecture et le design, ce qui explique que le Centre National de la Bande dessinée d’Angoulême, l’Ecole des Gobelins ou encore l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs y sont de plus en plus étroitement associés. Le souci de la qualité de l’interaction et de ce que vous appelez d’un néologisme audacieux « la jouabilité », mobilise également des métiers créatifs. Au total, la part de l’ensemble de ces dépenses artistiques représente maintenant la majeure partie des budgets de ces œuvres, au détriment des dépenses de programmation qui ne constituent plus qu’à peine un tiers des budgets.
Ce sont ces métiers qui font du jeu vidéo une industrie culturelle à part entière, qui doit être reconnue comme telle. C’est dans cet esprit que j’ai souhaité, au début de cette année, distinguer trois créateurs de jeu vidéo exceptionnels, Shigeru Miyamoto, Frederik Raynal et Michel Ancel, à qui j’ai remis les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres. A travers eux, c’est le métier même de créateur de jeu vidéo, et toute une profession, qui ont été reconnus et mis à l’honneur pour leur contribution à la création culturelle et au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde.
Oui, les jeux vidéo représentent une industrie culturelle à part entière, et donc un enjeu considérable en termes de créativité comme en termes d’emplois. Ils représentent un secteur économique prometteur qui dépasse, par son chiffre d’affaires, le cinéma en salles et la musique enregistrée, avec un taux de croissance annuel moyen de 15%. D’autres pays ont compris cette importance, et notamment le Canada, qui a mis en place une politique de financement très agressive, à laquelle nous devons aujourd’hui faire face.
Or nous avons la chance, en France, grâce à notre éducation, à notre culture, à notre esprit créatif, à notre sens de l’innovation, de bénéficier d’un terreau favorable, de disposer de créateurs de grand talent dans le domaine du jeu vidéo. C’est, à côté du dynamisme de certains entrepreneurs, ce qui nous a permis de bâtir des studios et une industrie reconnue. Il nous appartient aujourd’hui de préserver et de faire fructifier cette chance.
De la préserver, tout d’abord, en l’adaptant aux nouveaux défis du numérique, et en garantissant aux créateurs de jeu vidéo une juste rémunération pour leurs œuvres. La loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a relevé le défi difficile de concilier la circulation des œuvres et le respect du droit d’auteur avec la technologie d’Internet.
De la faire fructifier, ensuite, par un certain nombre de mesures visant à soutenir les nouvelles créations.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement a très rapidement réorienté le Fonds d’Aide à l’Edition Multimédia, qui a ainsi déjà permis de soutenir des projets de création de jeu vidéo pour 13 millions d’euros.
Le Premier Ministre a ensuite décidé, sur ma proposition, en décembre 2005, de compléter ce soutien par un crédit d’impôt en faveur de la création de jeu vidéo, et d’entreprendre les démarches nécessaires auprès de la commission européenne pour le mettre en place. Comme je le disais tout à l’heure, les jeux vidéo contribuent à façonner la vision du monde et à former les références culturelles des quelque 15 millions de Français qui y jouent régulièrement. Il me paraît donc essentiel que des critères culturels déterminent l’obtention du crédit d’impôt. Comme pour la création audiovisuelle et cinématographique. Dans le respect des mêmes règles et des mêmes valeurs, je pense, en particulier, à la dignité de la personne humaine.
Comme l’exige le traité européen, un nouveau régime d’aide a ainsi été notifié en ce sens et a fait l’objet de nombreux échanges avec les services de la commission, qui s’interrogent sur ce dispositif totalement nouveau. C’est la raison pour laquelle je suis intervenu cet été auprès de la commissaire européenne à la concurrence, Mme Kroes, pour convenir d’une rencontre dans les semaines qui viennent, afin de faire avancer ce dossier. Je sais l’importance qu’il représente pour les professionnels et les créateurs de jeu vidéo que vous êtes. Je ne mésestime pas le chemin à parcourir, pour mettre concrètement en place cet outil qui permettra de préserver la création et l’industrie françaises, de maintenir et de créer des emplois, voire de relocaliser des entreprises et des activités. Vous pouvez compter sur mon enthousiasme, mon énergie et ma détermination pour le faire progresser.
Oui, dans ce secteur culturel comme dans d’autres, il est essentiel de veiller à préserver la diversité culturelle. C’est d’autant plus important que le jeu vidéo est souvent porteur de références culturelles fortes, portées par les univers qu’il représente, qu’il façonne, qu’il crée et fait partager aux joueurs. On ne peut s’empêcher de penser à la campagne promotionnelle conduite par l’armée américaine à travers la diffusion d’un jeu gratuit, ou même à la représentation presque caricaturale, dans certains jeux, des villes bâties sur le modèle américain. On voit bien que les marchés du jeu vidéo dans les différents pays traduisent les spécificités culturelles et identitaires nationales.
Et parce que nos regards se portent aujourd’hui vers l’Europe, il me paraît essentiel de créer une véritable culture française et européenne du jeu vidéo. Je vous signale, parce que je ne suis étranger à ce choix, que la Cité des Sciences et de l’Industrie organisera la troisième édition de Villette numérique, du 29 septembre au 1er octobre 2006, sur le thème de la création numérique et du jeu vidéo, pour faire découvrir à nos concitoyens cet univers, à la fois sous un angle ludique, technique mais aussi artistique. Je vous incite à participer à cette manifestation, à laquelle participeront de nombreux créateurs reconnus.
En attendant, je vous souhaite des échanges fructueux sur ce thème qui, vous l’avez compris, me tient particulièrement à cœur. Je serai très attentif à vos débats et aux propositions qui en émaneront.
Je vous remercie.