Aujourd’hui, la transition écologique est sur toutes les lèvres. Elle est aussi présente, on le sait moins, dans le regard des artistes, qui envisagent les questions liées à l’environnement sous un autre angle, souvent plus acéré, toujours disruptif. « Parmi les tendances de Mondes Nouveaux, les grands sujets de société sont présents, à commencer par ceux liés à l’écologie, la plupart des artistes étant sensibles à une sorte d’interdépendance entre la création artistique et le vivant », confirme Bernard Blistène, président du comité de sélection de « Mondes Nouveaux », dans l’entretien qu’il nous a accordé en juillet sur ce dispositif.
Percutant, clinique ou décalé, c’est ce regard sur les perspectives environnementales, que nous avons souhaité mettre en lumière dans ce tour d’horizon des projets de « Mondes Nouveaux ». Avec trois artistes, Sabine Mirlesse, Dorian Étienne et Anna Solal, dont le travail va être présenté prochainement. La première révèle la poésie au sommet du Puy de Dôme, le deuxième alerte avec ses « tapisseries témoignages » sur les dangers encourus par certains territoires en Bretagne, la troisième, enfin, convie le baroque au château d’Oiron avec un travail organique et symbolique.
Auvergne-Rhône-Alpes : Sabine Mirlesse, un projet de Land Art au sommet du Puy de Dôme
« C’est mon plus grand projet », dit Sabine Mirlesse au sujet de Crystalline Thresholds, Les portes de Givre, un titre en anglais, un second en français. La jeune photographe franco-américaine, titulaire entre autres d’un master de la prestigieuse Parsons School of Design de New-York, n’a pas voulu choisir entre ses deux langues de cœur. On y voit un subtil écho à la dimension intime que recèle l’installation de Land Art créée pour Mondes Nouveaux.
Tout débute pendant le premier confinement. Sabine Mirlesse est chez sa grand-mère, en train de l’aider à ranger des affaires, quand elle découvre une mystérieuse « boîte noire contenant des pellicules argentiques ». Celles-ci contiennent des photos de « givre sur des ailes d’avion en montagne » qui aimantent le désir de la jeune photographe. « Certaines étaient floues, d’autres très belles », se souvient-elle, sans pour autant en percer le mystère. Puis elle découvre une étude réalisée par son grand-père au sommet du Puy de Dôme pendant l’hiver 1936-1937 intitulée Contribution à l’étude du givrage. Ces photos ont tout simplement servi à « documenter sa recherche ».
A partir de là, tout s’enchaîne. Une fois retrouvée la liberté d’aller et venir, elle s’empresse de se rendre au Puy de Dôme. La station météorologique, que les travaux de son grand-père lui ont fait connaître, existe toujours. Dans cette station, « on continue d'aspirer les nuages dans des bouteilles », dit-elle ; le pic est le premier sommet que les vents de l’océan Atlantique atteignent ; enfin, on y trouve les vestiges d’un temple gallo-romain, le temple de Mercure, et en particulier un portique. « Tout commence à remuer dans ma tête », dit cette passionnée de volcan : « Ils me fascinent parce qu’ils représentent un seuil géologique, la frontière entre le visible et l’invisible ». L’idée lui vient d’une installation de Land Art – la première de sa carrière – constituée de passages. « Mais comment réaliser un projet pareil ? » « Mondes Nouveaux » lui en donne l’opportunité.
En l’occurrence, sept portails sont installés selon le motif de la constellation des Pléiades et conçus afin de stimuler les formations de glace et de givre dues au micro climat, lesquelles croissent pour ensuite fondre avec l'arrivée du printemps. « Les portails sont en aluminium recyclé en référence aux ailes d’avion. Deux formes sont inspirées de ces mêmes ailes, une troisième fait référence au Temple de Mercure. Pour les quatre balises, j’avais notamment en tête un cairn de montagne, une baguette de sourcier, le caducée perdu de Mercure… » confie la jeune artiste, « reconnaissante et émue » que « Mondes Nouveaux » lui offre la possibilité de réaliser un tel projet. L’inauguration de l’installation aura lieu le 3 décembre.
Et la photographie dans tout cela ? « Le projet a débuté avec les photos de mon grand-père. Aujourd’hui, il prend la forme d’une installation éphémère. Demain, il vivra grâce à la photographie », se réjouit la jeune artiste. « C’est parce qu’un travail de documentation a été réalisé que l’on sait que certaines installations de Land Art ont existé. Je vais passer l’hiver à photographier ces portails, ce travail sera ensuite exposé ».
A noter : Crystalline Thresholds, Les portes de Givre sera inauguré le 3 décembre 2022
Bretagne : Dorian Étienne, des tapisseries-témoignages sur les territoires à risque
Après le Puy de Dôme, direction la Bretagne, où le jeune designer Dorian Étienne, diplômé de l’école Boulle, réalise, à partir de vues satellites, des « tapisseries, qui sont des témoignages de grand format présentant un état du lieu à la date d’aujourd’hui de territoires à risque ». C’est le projet Pays’Âges. Le choix de la Bretagne ne doit rien au hasard : Dorian Étienne est profondément attaché à cette région où il a vécu pendant douze ans. Quant aux lieux d’accueil, trois en tout (l’abbaye de Saint-Maurice dans le Finistère, l’abbaye de Beauport dans les Côtes d’Armor, enfin, le lycée paysager de Kerplouz dans le Morbihan) et aux paysages choisis, ils doivent tout à l’aide et à l’expertise du Conservatoire du littoral.
Pour la réalisation de ces tapisseries, le jeune designer, fervent défenseur d’un design humaniste et éco-responsable, utilise les ressources locales. « À partir des plantes tinctoriales de la flore locale, nous avons réussi à avoir une large palette de couleurs », se félicite celui qui, pour l’occasion, a fait appel à des teinturières, qui elles-mêmes ont noué un partenariat avec le Mobilier national. Tapisseries, nuancier de couleurs… on est en effet dans le cœur de métier du prestigieux établissement. Autre spécificité : des participants sont « invités à essayer la technique du « touffetage » et interviennent ensuite sur toute la durée de la réalisation ». Selon Dorian Étienne, l’objectif est « qu’ils apprennent à [s]es côtés » et « participent à la mise en lumière de leur territoire ».
À ce jour, la première des trois tapisseries, celle du Finistère, a été réalisée. « Elle a réuni quinze participants et nécessité 800 heures de travail dont 450 de touffetage, 22 kg de laine ont été utilisés », précise Dorian Étienne qui a tout lieu d’être satisfait : « Toutes les générations étaient représentées, les participants se sont sentis à l’aise et utiles. Par ailleurs, des gens qui ne se connaissaient pas se sont rencontrés ». Pour la phase de restitution, une exposition itinérante est d’ores et déjà prévue qui, indépendamment de la présentation des tapisseries, mettra à l’honneur la dimension participative du projet à travers un film, et les matériaux locaux. Par ailleurs, « une vue grand format du même site dans cinquante ans sera projetée » afin d’éveiller un peu plus encore les consciences sur la dimension climatique. Ce projet, « qui n’aurait jamais existé sans l’accompagnement de Mondes Nouveaux », Dorian Étienne, le voit « comme un tremplin » : des tapisseries témoignages dans d’autres territoires pourraient bien voir le jour dans les prochaines années.
A noter : Pays'Ages est en projet en cours de réalisation
Nouvelle-Aquitaine : Anna Solal, un cabinet de curiosités organique au Château d’Oiron
Au château d’Oiron dans les Deux-Sèvres, la jeune plasticienne Anna Solal, dont les œuvres sont réalisées par l’assemblage d’objets de rebuts aux origines diverses, présente, du 22 octobre au 29 janvier, Frémissement. Dans ce lieu aussi singulier qu’enchanteur qui abrite la collection d’art contemporain Curios & Mirabilia conçue sur le modèle du cabinet de curiosités en référence à la collection d’art de Claude Gouffier, grand écuyer d’Henri II, carte blanche est ponctuellement donnée à des artistes dont les œuvres cultivent ce qui pourrait volontiers être qualifié de « beau bizarre ». On se souvient des interventions récentes de Mario d’Souza et de Dario Ghibaudo, lesquels, grâce au Centre des monuments nationaux, sont donc aujourd’hui rejoints, par Anna Solal.
« C’est la première fois que j’expérimente ce type de dispositif » commente, ravie, la jeune femme, diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre en Belgique et pensionnaire cette année de la Villa Médicis. Ses œuvres seront mises en regard de celle de Daniel Spoerri, Corps en morceaux, et de la galerie peinte du XVIe siècle racontant la guerre de Troie et les aventures d’Énée. On verra ainsi « une arène, tout sauf guerrière, au contraire très méditative », mais aussi des « abeilles de verre, des plaques de gaz au-dessus desquelles poussent des fleurs, ou encore un tournesol labyrinthique… ». Ernst Jünger, Sylvia Plath, Edmond Jabès… les références sont nombreuses, dont la jeune femme parle avec passion, autour de ce projet sur la nature qui intègre également des dessins. Les abeilles de verre sont un hommage explicite au roman éponyme d’Ernst Jünger. « J’ai voulu recréer ces abeilles, les imaginer de façon transparente », explique la jeune artiste.
Si la nature est ramenée à sa dimension sauvage et vulnérable, que « le délitement est un motif que l’on retrouve dans chacune des œuvres, il y a, en même temps, toujours quelque chose de l’ordre de la vie dans la rencontre entre la matière, la forme, et la couleur », assure Anna Solal. Pour autant, pas question pour la jeune femme de donner une interprétation clés en mains. « Plus l’œuvre est polyphonique, mieux c’est ! ». Un texte de l’écrivain Olivier Prada accompagne le projet.
A noter : l'exposition de la création d'Anna Solal, Frémissement, aura lieu au Château d'Oiron, du 22 octobre au 29 janvier prochain
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