VOLTAIRE, dans une saynète poétique et humoristique de son imagination
intitulée « Le Russe à Paris », décrit un Russe avide de « s’éclairer,
s’instruire auprès de vous ; [de] Voir un peuple fameux, l’observer et
l’entendre […]. Je viens pour me former sur les bords de la Seine ».
Eh bien aujourd’hui, c’est un Parisien qui « vient pour se former sur les
bords de la Moscova »... D’ailleurs, le grand ironiste n’était pas dupe de sa
convention poétique, lui qui nourrissait l’admiration que l’on sait pour
PIERRE LE GRAND, auquel il consacra un ouvrage entier, ainsi que pour
CATHERINE II, à laquelle il légua sa bibliothèque, conservée aujourd’hui à
Saint-Pétersbourg, comme vous le savez.
Mais si désuète et si légère que soit cette conversation rimée entre un
Russe et un Parisien, elle nous rappelle que le dialogue culturel entre la
France et la Russie a toujours été d’une intensité exceptionnelle.
Rien n’était pourtant joué d’avance. Les différences auraient pu s’ajouter
aux distances, les traditions accuser le fossé de la géographie. Mais il s’est
produit entre ces deux pays, ces deux peuples et singulièrement leurs
artistes, depuis toujours, comme une alchimie inexplicable.
Est-il besoin de citer DIDEROT, après VOLTAIRE, de parler des architectes
de PIERRE LE GRAND, de la fascination d’un CUSTINE, dont le nom
même a presque des résonances venues de Russie ? Est-il nécessaire de
rappeler la vogue extraordinaire des romans russes à la fin du XIXe siècle,
notamment via le fameux ouvrage de Melchior de VOGUË ? Faut-il rappeler
POUCHKINE, surnommé le « Frantsous » par ses camarades d’école, et
TOURGUENIEV, dont on ne sait même plus dans quelle langue il a écrit
ses romans, tant il est familier aux lecteurs français, tant sa pensée épouse
et stimule les inflexions de notre langue ? Dois-je rappeler les Ballets
russes qui, il y a cent ans, ont été indissociables de l’envol de notre
modernité esthétique ? La liste est trop longue de nos fascinations
réciproques, et l’on pourrait presque se demander : pourquoi est-il
nécessaire que les Etats et les collectivités territoriales se lancent dans une
grande Année Croisée France-Russie ?
Eh bien je crois qu’il y a tout à gagner à soutenir et à amplifier cet
enthousiasme spontané. Et que les opérations culturelles de grande
envergure peuvent marquer une nouvelle ère et écrire un nouveau
chapitre d’une histoire déjà extrêmement riche. De surcroît, il me semble
que l’initiative des Présidents de la Fédération de Russie et de la
République française de lancer cette Année croisée France-Russie 2010
dans tous les domaines de l’activité humaine, et non seulement dans la
culture, tombe à point nommé : elle arrive à un moment où les contacts et
les rapprochements de nos deux pays et de nos deux cultures avaient
besoin d’un creuset et même d’un catalyseur. Ils avaient besoin que
toutes ces tentations de faire des choses ensemble deviennent réalité,
une réalité dont il nous est donné de contempler et d’apprécier la
profusion dans les plus 350 événements en France et en Russie, décrits
dans le programme étourdissant de cette Année Croisée.
Je dirai quelques mots, aujourd’hui, uniquement des manifestations de
l’année de la France en Russie.
Il y a un mois a été lancé un grand festival itinérant du cinéma français à
travers pas moins de 27 villes de Russie, et qui va se poursuivre tout au
long de l’année 2010, afin que le public russe se familiarise davantage
avec des films français récents, inédits pour lui, les dernières créations
d’auteurs aussi divers et emblématiques qu’Alain RESNAIS, Jacques
DOILLON, Claire SIMON, ou encore Olivier ASSAYAS, qui expriment,
chacun à leur façon, une certaine idée du cinéma français d’aujourd’hui.
Il y a un mois presque jour pour jour nous lancions à Paris cette Année
croisée en musique sous l’invocation de TCHAÏKOVSKI et de Valéry
GERGIEV, dans une Salle Pleyel enchantée. Aujourd’hui, c’est en images
et sous le signe de Pablo PICASSO que nous allons ouvrir ensemble le
deuxième volet de ce diptyque. Mesdames Irina ANTONOVA et Anne
BALDASSARI nous en diront quelques mots tout à l’heure, et j’aurai moi
aussi le plaisir de vous en dire davantage lorsque nous inaugurerons cette
grande exposition au Musée POUCHKINE. Et puis, parce que notre amitié
se nourrit d’allers-retours constants, ce sera bientôt le tour du Président
MEDVEDEV lui-même, à l’occasion de sa visite d’Etat en France,
d’inaugurer, aux côtés du Président SARKOZY, d’autres images, d’autres
icônes, celle de la monumentale exposition « Sainte Russie », organisée
par le Musée du Louvre en partenariat avec pas moins de vingt musées et
institutions russes. Ce parcours à travers mille ans d’histoire, de la
christianisation (à la fin du Xe siècle) jusqu’à l’époque de Pierre le Grand,
sera, au coeur de Paris, une ambassadrice à la mesure d’une Histoire
aussi grandiose.
Le programme élaboré au sein du comité mixte d’organisation comporte
également des rendez-vous très importants dans les domaines de
l’Économie (et d’ailleurs le Président de la République lui-même se rendra
au Forum économique international de Saint-Pétersbourg), mais aussi de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de l’Éducation, de la Santé,
de la Jeunesse et des Sports. Messieurs Mikhail CHVYDKOÏ,
Louis SCHWEITZER et Nicolas CHIBAEEV ont apporté beaucoup de soin
et d’imagination à ce vaste programme interministériel, dont ils vous
exposeront bientôt les grandes lignes.
Ce foisonnement d’événements qui vont se dérouler à travers toute la
Russie permettra, je l’espère, d’atteindre les quatre principaux objectifs
que nous nous sommes fixés :
Tout d’abord, inviter – notamment les jeunes générations – à découvrir ou
à revisiter quelques-uns des « paysages choisis » de nos patrimoines
partagés, notamment grâce aux grandes tournées de la Comédie-
Française et du Ballet de l’Opéra de Paris, ou bien encore à la venue de
nos orchestres les plus renommés.
Ensuite, mettre à l’honneur la création sous ses formes les plus diverses,
afin d’offrir au public russe un panorama vivant de ce qui constitue
aujourd’hui la vie culturelle de notre pays.
Il s’agit, par là, de favoriser les échanges et les projets conjoints entre
artistes et institutions de nos deux pays. La coopération entre le Centre
Pompidou et le Musée de l’Ermitage autour de l’art contemporain, les
invitations faites par des théâtres russes à nos meilleurs metteurs en
scène, chorégraphes et compositeurs, en sont quelques exemples.
Nous voulons, enfin, encourager le débat d’idées et les rencontres entre
écrivains : je pense notamment à cette belle équipée d’une vingtaine
d’écrivains français qui voyageront, pendant près de trois semaines, sur le
parcours du Transsibérien entre Moscou et Vladivostok, renouant
d’ailleurs, par ce voyage, avec une tradition très présente dans la
littérature russe, d’Anna Karénine à la Sonate à Kreutzer, mais aussi avec
la Prose – ou plutôt la Poésie – du Transsibérien de Blaise CENDRARS.
Tout cela, bien sûr, n’aurait pu se faire sans le concours et l’engagement
de tous et de chacun. Je voudrais notamment rendre hommage aux
nombreuses entreprises mécènes, russes et françaises, qui nous
soutiennent et nous accompagnent dans cette aventure, en particulier au
sein du Comité français des mécènes dirigé par Louis SCHWEITZER et
Gérard MESTRALLET.
Il appartient désormais à chacun d’entre nous de faire en sorte que cette
Année croisée France-Russie rencontre tout l’écho et tout le succès
qu’elle mérite auprès de ses publics. Je me réjouis d’avance de savoir que
toute cette année 2010 sera comme une double invitation : invitation de
nos amis russes à Paris et partout en France, invitation de vos amis
français sur tout le territoire de la Russie. Par des séjours aussi
chaleureux qu’intenses, nous allons cultiver non seulement notre jardin,
mais aussi notre amitié.
Je vous remercie.