Je vous ai réuni aujourd’hui, à Pierrefitte-sur-Seine, pour faire un point sur l’état d’avancement d’un chantier majeur pour le Ministère de la Culture et de la Communication, placé sous la maîtrise d’ouvrage de l’Opérateur du Patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (OPPIC). C’est toujours un moment enthousiasmant, notamment lorsqu’on commence à entr’apercevoir l’horizon, lorsque les différentes étapes de ces entreprises de grande envergure ont été franchies avec succès.
Permettez-moi d’abord d’évoquer les investissements relatifs au projet de Pierrefitte-sur-Seine. Au total ce sont près de 244 millions d’euros qui seront investis, soit le coût de la construction du bâtiment (194 millions d’euros) et les chantiers de modernisation qui l’accompagnent : nouveau système d’information, déménagement des fonds et des collections, chantier de la numérisation permettant la consultation à distance. En tout, ce sont 66 000 m2 de superficie utile, 320 kilomètres linéaires de magasins d’archives afin d’accueillir les archives des administrations centrales de l’État pour les 30 ans à venir. Les 5 400 m2 d’espaces publics permettront de recevoir les lecteurs mais aussi le public des expositions, des conférences, les publics scolaires qui bénéficieront ainsi de l’expertise, du rayonnement scientifique mais aussi du travail de médiation des Archives nationales. Je veux aussi saluer le remarquable travail réalisé par la maîtrise d’ouvrage afin de s’inscrire dans une démarche exigeante de développement durable, à travers un système innovant de ventilation et de brassage de l’air garantissant la qualité de la conservation et permettant une réduction des coûts énergétiques à hauteur de 60%.
Inscrit dans le budget triennal 2011-2013 par mon ministère, c’est un engagement considérable ; c’est l’un des plus gros chantiers avec ce que cela implique en terme de suivi, d’expertise et d’accompagnement. Je veux en remercier l’OPPIC, mais aussi la Direction générale des Patrimoines. La livraison du bâtiment dessiné par l’architecte Massimiliano Fuksas – dont je tiens à saluer la persévérance, l’écoute et le talent – interviendra en avril 2012 comme cela était prévu, pour une ouverture au public dans les premiers mois de 2013.
Le projet de « Cité pour les Archives » - tel qu’il avait été conçu et pensé par les précédentes directions, défendu au plus haut niveau par le regretté professeur René Rémond et par Georgette Elgey, tel qu’il est conduit par Agnès Magnien et ses équipes - voit là son accomplissement et sa réalisation concrète.
Je voudrais rappeler les éléments fondamentaux de cette grande ambition pour les Archives. Afin de tenir compte de l’ouverture du site de Pierrefitte-sur-Seine, le budget de fonctionnement de l’institution devrait atteindre près de 8 millions d’euros en 2013, soit plus du double du budget actuel. Bien entendu, je sais que ces chiffres ne rendent pas toujours compte de ce qui est vécu, des situations contrastées qui peuvent exister sur le terrain. Je sais très bien ce qu’un changement implique pour l’ensemble des personnels, pour les chercheurs, pour les usagers.
J’ai choisi et décidé de faire des emplois en faveur des Archives une des priorités de mon ministère. Avec un objectif de 515 à l’ouverture, les Archives nationales sont donc exonérées de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C’est un signal fort, c’est un engagement important dans le contexte général de l’emploi public. C’est surtout un effort considérable par rapport à la situation actuelle. Je tiens à rappeler qu’au début de la grande aventure de Pierrefitte-sur-Seine, le Service à Compétence Nationale des Archives nationales (SCN) ne comptait que 370 personnels.
La répartition des documents d’archives a été totalement repensée, sur trois sites, s selon le principe archivistique du respect des fonds, qui seront donc reconstitués physiquement dans leur intégrité. Les Archives nationales, ce seront donc trois piliers en Ile de France, ce seront donc trois sites, avec à Paris les fonds de l’Ancien Régime, les cartes, les plans, les documents figurés de la période, et les archives notariales de Paris – le fameux minutier des notaires ; à Fontainebleau, les archives électroniques et les archives orales et audiovisuelles qui nécessitent des chaînes de traitement spécifique, et les archives les plus fréquemment sollicités en matière de justification de droits et de preuves ; ici, à Pierrefitte, tous les fonds publics postérieurs à 1790 à l’exception des fonds spécifiques dont nous parlions pour Fontainebleau.
Aller à Pierrefitte, ce n’est pas abandonner le quadrilatère de Rohan-Soubise. Bien au contraire, c’est lui donner la chance d’une nouvelle naissance. C’est permettre à ce superbe ensemble patrimonial, ignoré des Parisiens comme des visiteurs, des touristes, d’être restauré, repensé et ouvert. C’est le sens du projet de l’ouverture des jardins et de leur mise en valeur, au cœur du Marais, par le paysagiste Louis Benech. C’est le sens des crédits attribués au titre de la restauration des monuments historiques afin de valoriser les espaces qui seront laissés vacants par le départ d’une partie des collections, ici même à Pierrefitte. La localisation sur un même site des Archives nationales et de la Maison de l’histoire de France sur le projet de laquelle le Comité d’orientation scientifique pluraliste et ouvert nommé en janvier 2011 travaille et continue ses consultations, revêt à mes yeux un intérêt scientifique et culturel majeur. Je veux être clair : cette décision ne remet nullement en cause, cela va de soi, la destination et les activités des Archives nationales sur leur site parisien. Toutes les missions fondamentales qu'elles exercent, de la conservation à l'accueil du public, seront préservées. J’ai demandé à la Direction générale des patrimoines que l'installation de la Maison de l'histoire de France soit en résonance avec le projet scientifique, culturel et éducatif des Archives nationales en cours de finition. Je suis certain qu’une fois levés les doutes, les appréhensions, les postures aussi, de nouvelles dynamiques vont naître au service du débat et du questionnement sur l’histoire, dans un va-et-vient permanent avec le présent.
Notre politique d’archives, je ne l’oublie pas, forme un tout : elle s’inscrit dans un réseau capillaire, inscrit dans les territoires, dont Pierrefitte doit être l’un des points de référence. Il n’est pas concevable pour moi de construire le site de Pierrefitte sans conforter le réseau national des Archives en France. Aujourd’hui, plus de 280 archivistes sont ainsi mis à disposition des collectivités par mon ministère. J’entends préserver la qualité de la conservation et de la recherche historique dans nos régions, sur tout le territoire, dans un dialogue renouvelé avec les collectivités territoriales. Et je veux saluer aujourd’hui l’engagement dans cette grande aventure de toutes les collectivités territoriales, à tous les niveaux : villes de Pierrefitte et de Saint-Denis, Communauté d’agglomération de Plaine-Commune, Conseil général de Seine-Saint-Denis – ces deux dernières ayant contribué à l’achat du terrain – Conseil régional. Pour que cet équipement d’excellence trouve sa place dans le paysage culturel et social du nord de Paris, nous aurons besoin d’elles, de leur connaissance du territoire, de leurs expertises, de leurs projets.
En implantant le vaisseau amiral de ce nouveau dispositif des Archives nationales en Seine-Saint-Denis, c’est de fait le choix du Grand Paris qui a été fait, avec une qualité de desserte qui permet l’accès de publics différents, chercheurs, historiens, comme publics de proximité. Je veux aussi mentionner la proximité d’institutions universitaires et de recherche de haut niveau : l’université Paris VIII, voisine, immédiate avec laquelle une convention de partenariat est en cours d’achèvement, qui bénéficiera dès l’automne 2012 d’un master (niveau Bac+5) formant aux métiers des archives, qui sera ouvert à la formation continue. Je ne veux pas oublier l’Université Paris XIII mais aussi le Laboratoire d’excellence (Labex) Arts et Médiations humaines – qui fédère des universités, des écoles d’art, des établissements culturels de rayonnement national (Centre Georges Pompidou, RMN-Grand Palais, Universcience, BNF) sans oublier – à quelques kilomètres - le Campus Condorcet, qui s’implantera demain à Aubervilliers avec des institutions d recherche de très haut niveau. Le projet de Pierrefitte, chacun le voit, s’inscrit bien dans l’ambition du Grand Paris de la culture et de la connaissance. Il s’inscrit aussi dans un projet en cohérence avec le territoire, avec l’environnement urbain.
Requalifier les territoires par l’implantation d’une institution régalienne, d’une institution centrale de notre histoire, qui a accompagné la formation de l’Etat dans notre pays, c’est redonner du sens à la République, c’est redonner de la visibilité à l’ambition de démocratisation culturelle qui n’a cessé d’habiter le ministère de la Culture depuis sa création par André Malraux. C’est aussi faire le pari de l’avenir, c’est anticiper la France unie et rassemblée de demain, au même titre que la Tour Médicis à Clichy-Montfermeil, projet sur lequel vous connaissez mon engagement personnel. Ces deux projets partent d’un même présupposé : si les quartiers que l’on dit sensibles ne viennent pas à la culture, nous devons amener la culture – toute la culture – vers ces quartiers, sans esprit de supériorité, sans condescendance, sans démagogie non plus. Choisir Pierreffitte comme un centre pour les Archives nationales, c’est croire à l’accès de chacun à l’histoire dans sa pluralité, c’est faire le pari de la connaissance et du savoir pour tous les publics, c’est faire de la diversité un atout et une richesse.
Le projet très ambitieux de Massimiliano Fuksas s’enrichit d’ailleurs de l’œuvre de trois artistes contemporains sélectionnés dans le cadre de la procédure de la commande publique, du 1% artistique, Pascal Convert, Antony Gormley et Susanna Fritscher, qui vient consacrer la politique d’innovation, de valorisation artistique, et d’aménagement du territoire portée par l’Etat.
Dans la société de l’ « l’hyper-présent » dans lequel nous sommes trop souvent immergés, face à la fracture générationnelle, à l’individualisation massive des pratiques, proposer des lieux offrant du sens, une plongée dans la profondeur temporelle, des lieux qui soient le miroir de la diversité qui a façonné ce que Gérard Noiriel appelle le « creuset français » - ce que j’appelle pour ma part, la France « pays-monde ». Une France à la fois une et multiple, à la fois complexe et forte de ses principes et de son histoire, ouverte au grand vent du village monde comme à l’histoire des individus singuliers, des oubliés de l’histoire, des héros anonymes à l’image de ce François-René Pinagot, laboureur inconnu, exhumé de la poussière des archives par l’historien Alain Corbin, à l’image de cette Histoire des choses banales écrite avec le talent de Daniel Roche. Il y a là comme un écho des exigences que nous sommes appelées à affronter pour l’avenir de nos sociétés démocratiques, pour l’avenir pour l’avenir de la pratique culturelle dans les quartiers, en d’autres termes pour l’avenir d’une certaine idée de la République !