La mode est un « acte créatif à très haute valeur ajoutée » autant qu’une filière apportant « une contribution majeure à l’économie et à l’emploi avec près d’un million d’emplois, 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et 2,7 % du PIB français », a souligné Audrey Azoulay en ouverture du Forum de la mode. Les deux dimensions, esthétique et économique, ont été le fil rouge de ce premier Forum de la Mode organisé conjointement par le ministère de la Culture et de la Communication et le secrétariat d’État chargé de l’Industrie, avec l’appui de la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-Porter des Couturiers et des créateurs de mode et de la Fédération Française de Prêt-à-Porter féminin. L’événement fait suite aux préconisations du rapport de Lyne Cohen Solal sur la mode en France remis aux deux ministres en 2015. Son auteur plaide à présent pour « la création de masters de création de mode sur l’ensemble du territoire ».
Acte créatif à très haute valeur ajoutée, la mode est aussi une filière apportant une contribution majeure à l’économie et à l’emploi avec près d’un million d’emplois, 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et 2,7 % du PIB français (Audrey Azoulay)
Les arts de la mode
« Je veux avoir du temps pour penser à ce qui me touche ». Ce cri du cœur, lancé par le directeur de la création Pierre Marchal, est à l’image des propos tenus par l’ensemble des intervenants de cette première table ronde : tous placent leur liberté au-dessus de tout. « Le luxe pour un magazine, c’est de faire quinze pages sur un jeune créateur que personne ne connaît, simplement parce qu’on y croit », dit Samuel Drira, co-fondateur d’Encens et directeur artistique de la marque Nehera. « La création n’existe pas sans liberté, dit encore Jean-Pierre Blanc, fondateur du Festival International de la Mode et de la Photographie à Hyères. Nous avons tous la chance de faire ce que nous voulons, il ne faut pas perdre de vue l’émotion que procure la mode ». Des créateurs qui doivent souvent beaucoup à ceux qui, dans l’ombre, les accompagnent, à l’image du coiffeur Olivier Schwalder, collaborateur régulier de Samuel Drira, pour lequel il dit avoir eu un vrai « coup de foudre professionnel ».
Les nouveaux modèles économiques
« Nous avons eu un site et une page Facebook avant d’avoir un distributeur. Quand on est une petite marque il y a vraiment des cartes à jouer sur les réseaux sociaux », observe avec gourmandise Guillaume Gibault, fondateur et président du Slip français, l’une des aventures les plus décalées de la décennie, qui réalise 70% de ses ventes en ligne. Qui dit nouveaux modèles, dit rôle croissant joué par les réseaux sociaux. Pas au point toutefois d’éclipser la boutique. « Le client veut le meilleur du « physique » et du digital, il faut réconcilier ces deux mondes et créer des passerelles en permanence », relève Elisabeth Cazorla, directrice du Prêt-à-Porter aux Galeries Lafayette et au BHV. « En France, on est sans doute un peu en retard sur le numérique, ajoute Nicolas Santi-Weil, Directeur exécutif d’AMI, mais le fait de basculer d’un coup en tout-digital peut être dangereux. La boutique reste aujourd’hui un territoire d’expression ». Autre utilisation possible de l’économie numérique, celle qu’illustre Panoply City, site web de location de pièces de créateurs fonctionnant sur la base d’un abonnement mensuel. « Nous achetons des pièces auprès d’une trentaine de marques, nos clientes se servent dans notre catalogue et peuvent renouveler à l’envi leur garde-robe », indique sa co-fondatrice Emmanuelle Brizay. Uriel Karsenti, fondateur de la marque de prêt-à-porter Maisons Standards, revient sur la question du financement et adresse un message d’optimisme aux jeunes créateurs : « Quand on commence, il est difficile de trouver des financements, c’est long, cela prend du temps, mais à un moment on fait une belle rencontre et tout change ». Même tonalité positive chez Nicolas Santi-Weil. « Aujourd’hui en France, souligne-t-il,il y a un écosystème entrepreneurial qui commence à intéresser les investisseurs étrangers. Paris reste attractif et les jeunes entrepreneurs se donnent les moyens de faire porter leur discours beaucoup plus loin ».
Savoir-faire et nouveaux modes de production
S’il est une ambition partagée, c’est bien celle dont le savoir-faire est l’objet : « Nous faisons des pièces uniques, du sur-mesure. En plus de la main des créateurs, il faut que l’expertise de nos ateliers soit mise en avant », explique Maurizio Liotti, directeur industriel du prêt-à-porter et directeur des ateliers couture de la maison Dior. « Les machines nous permettent de créer de la dentelle à l’infini, le tissage en lui-même ne change pas, nous conservons précieusement l’ensemble de nos savoir-faire tout en modernisant tout ce qui peut l’être. Nous pouvons commencer un dessin à main levée, puis être aidés par un logiciel informatique », indique de son côté Maud Lescroat, directrice marketing de Sophie Hallette. Dans cette « subtile alliance du savoir-faire artisanal et de l’innovation technologique » qu’évoque Catherine Gorgé, secrétaire générale de Prodways Technologies, la seconde se met naturellement au service de la première : « Dans le cadre de notre accord avec les montres Officine Parenai, nous avons conçu les carrures des montres Luminor Tourbillon », poursuit-elle. «L’innovation, c’est quand une belle idée va trouver son modèle de revenus, l’empreinte environnementale est à cet égard un enjeu majeur, la génération Z est très soucieuse du respect des normes éthiques et environnementales. Par ailleurs, nous menons une politique active de mentorat vis-à-vis des jeunes créateurs et mettons à leur disposition nos équipements afin de les accompagner dans la professionnalisation de leur activité » explique Pascal Denizart, directeur général du Centre Européen des Textiles Innovants (CETI). Jacques Martin-Lalande, Président du Groupement de la Fabrication Française, conscient de l’atout considérable que représente le « Made in France », se réjouit des résultats du projet Transfert mené avec Pôle Emploi, « 1500 personnes sont aujourd’hui en train de se former dans des structures que nous avons créées ».
La nouvelle scène créative
Bastien Daguzan, directeur général chez Lemaire, Simon Porte Jacquemus, fondateur de la marque éponyme, Johanna Senyk, fondatrice et directrice créative de Wanda Nylon, Jérémie Egry, directeur créatif et co-fondateur de Études : l’image réunissant ces quatre jeunes créateurs, qui tous tracent leur sillon avec une égale réussite, avait fière allure. Et chacun – déjà ! – de se souvenir. Simon Porte Jacquemus et Johanna Senyk soulignent la fidélité aux idéaux de l’enfance. Le premier se souvient du blog qu’il tenait à 12 ans « inspiré de Vogue Italie », la seconde se rappelle de la passion avec laquelle elle feuilletait le catalogue de la Redoute et que sa collaboration aujourd’hui avec la collection femme de la célèbre maison de Roubaix consacre un rêve d’enfance. Les deux jeunes créateurs ont en commun d’avoir été récemment primés. Simon Porte Jacquemus a été lauréat du prix spécial du jury du prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode en 2015, « un apport inestimable sur le plan pratique ». Johanna Senyk, il y a quelques mois, a reçu le Grand Prix de l’Andam, « cela donne une assurance incroyable, on a l’impression que rien ne peut nous atteindre ». Une réussite que partagent leurs deux camarades. Bastien Daguzan, dont la société est en pleine expansion, veille à ce que « tous les aspects de support et d’administration de l’entreprise soient parfaitement structurés » pour qu’ils n’empiètent pas trop sur le temps de création, précieux entre tous. Jérémie Egry formule le souhait d’ouvrir à New York un lieu sur le modèle de celui qui a ouvert ses portes à Paris, il y a un an et demi, et abrite l’ensemble des activités d’Etudes.
Accompagnement et financement des marques
Quelle meilleure illustration du dynamisme du secteur que le foisonnement des aides et des initiatives, tous acteurs confondus. Citons, au premier chef, l’ensemble des aides accordées par l’Andam, une association, soutenue par le ministère de la Culture et de la Communication, qui défend la jeune création le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode, le festival « Open My Med » qui, en mai dernier, a réuni les marques créatives de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur et les industriels méditerranéens, mais aussi l’expertise irremplaçable apportée par la Fédération Française du Prêt-à-Porter féminin, l’Institut français de la mode, et la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-porter des Couturiers et des expertises de mode, le lieu d’échanges que sont les Ateliers de Paris, ou encore le Graal que représente la décision de la Banque publique d’investissement (BPI) d’investir dans le capital d’une entreprise. Des soutiens qu’Isabelle Ginestet, directrice des Fonds Sectoriels et coordinatrice de l’action pour les industries créatives à la BPI, résume d’un mot : « Soyons optimistes, il y a toujours mieux à faire mais nous faisons déjà beaucoup ». Créativité, savoir-faire, compétitivité, formation, Paris possède tous ces atouts rappelle Guillaume de Seynes, le directeur général d’Hermès. « Le secteur doit s’appuyer sur votre réussite », conclut Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’Industrie auprès du ministre de l’Économie et des Finances.
Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication
"La jeunesse, le renouvellement, l’innovation, voilà aussi l’un des sujets de cette première édition du Forum de la mode. C’est avec la volonté d’apporter un soutien utile et concret à la jeune création que nous réfléchissons à ce que pourrait être une aide à la première présentation de mode pour les très jeunes créateurs, qui pourrait avoir lieu pendant les semaines de la mode - par exemple celle de janvier prochain. C’est une idée que beaucoup d’entre vous nous ont suggérée. Il s’agit également de voir comment cette aide pourrait être complémentaire de la formidable initiative des « Designers Apartment », l’opération mise en œuvre par la Fédération française de la couture. (...) Sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur, je voudrais aussi que vous insistiez sur le sujet du financement et de l’accompagnement des créateurs dans les premières années où ils se lancent. Car nous connaissons tous ces jeunes talents qui, parfois, se fracassent sur ce sujet de la gestion d’entreprise. Des progrès ont été faits. L’accompagnement est maintenant plus professionnel. Des fonds d’investissement sont dédiés. Des investisseurs se sont spécialisés dans ce sujet. Vous nous direz, j’espère, quelles peuvent être vos propositions pour continuer à améliorer leur accompagnement lorsqu’ils se lancent".
Guillaume de Seynes, directeur général groupe Hermès, à la tête du comité Colbert
"Depuis 2006, 10 artisans ont été nommés Maîtres d’art - un titre décerné par le ministère de la Culture et de la Communication, qui distingue des artisans d'exception - et 31 artisans du Comité Colbert ont reçu les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Tous les savoir-faire sont représentés, c’est vraiment un très beau geste, pour les artisans, c’est une reconnaissance incroyable, il y a toujours beaucoup d’émotion, cela marque aussi la reconnaissance de la République pour tous les métiers, riches d’un extraordinaire savoir-faire, au service de la création".
Audrey Louis, couturière en entreprise individuelle inscrite à la chambre des métiers
"Mon activité est le résultat d’une reconversion professionnelle. Je pratiquais depuis toujours la couture en autodidacte. En 2012, je me suis décidée à franchir le pas. J’ai abandonné mon précédent métier et passé un CAP couture. Au départ, je travaillais uniquement pour des particuliers puis, très vite, des jeunes entreprises, dans des secteurs aussi différents que la puériculture ou la décoration d’entreprise, m’ont contactée. Aujourd’hui, à mon activité initiale s’ajoute l’accompagnement de cette demande à toutes les étapes de la conception : prototype, mise au point, patronage, production en petites et moyennes séries. Récemment, nous avons aussi constitué toute une équipe de couturières pour faire les retouches des vêtements dessinés par Kanye West lors de son défilé à la Fashion Week. L’ambition du Forum de la mode - rassembler et créer des synergies - est très positive. Nous travaillons trop souvent de façon isolée, nous faisons un métier de passion, chacun peut apporter quelque chose à l’autre. J’adhère complètement à cette idée de partage et de mutualisation que porte le forum et je souhaite que les couturières puissent à l’avenir disposer d’un lieu spécifique à l’instar d’autres métiers".
Frédéric Biousse, ancien dirigeant dans le luxe et la mode, aujourd’hui à la tête d’un fonds d'investissement
"En France, dans les années 1990, des marques comme Comptoirs des Cotonniers, Zadig & Voltaire et Princesse Tam Tam ont introduit les codes du luxe avec un mode de fonctionnement basé sur une organisation 100% boutiques en propre avec des cycles d’investissement très courts. Ces marques ont créé un marché – celui du luxe abordable – et pris les acteurs par surprise. Aujourd’hui, dans le cadre de mon activité à la tête du fonds d’investissement Experienced Capital Partners, je remarque que les jeunes entreprises n’hésitent pas à demander conseil. C’est nouveau là aussi, autrefois, les entrepreneurs pensaient qu’ils étaient bons sur tout. Si nous avons réussi pour Sandro, Maje, et Claudie Pierlot, c’est parce que nous étions deux ou trois à la tête de l’entreprise. Chacun apporte sa qualité, et la décision se prend en commun".
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