Au premier coup d’œil, on reconnaît d'emblée Tintin, Popeye, Bécassine, Corto Maltese ou Batman. C'est, bien sûr, grâce à l'identité forte de leurs traits, caractéristiques entre tous. Mais c'est aussi grâce à un détail de leur tenue vestimentaire ou un accessoire de mode, qui les rend iconiques. De fait, la bande dessinée a, depuis ses origines, toujours été fortement inspirée par la mode. L'un des grands mérites de l'exposition labellisée d'intérêt national par le ministère de la Culture, que présente, jusqu'au 5 janvier prochain, la Cité de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, est de remettre en perspective la richesse du patrimoine historique de la bande dessinée. L'exposition raconte également comment, dans une sorte d'effet miroir, la mode a été fascinée par la bande dessinée. Pierre Lungheretti, directeur de la Cité de la bande dessinée et de l’image (CNBDI), revient sur l'exposition, véritable trait d'union avec un événement national annoncé par Franck Riester : 2020, année de la bande dessinée.
La France est à la fois le pays de la mode et le pays de la bande dessinée, ces deux secteurs de l’excellence française
A partir du 26 juin, la Cité de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême présente une exposition consacrée à un sujet inédit : les rapports de la mode et de la BD. Pourquoi avoir rapproché ces deux univers sans rapport apparent ?
L’idée de cette exposition m’est venue il y a plusieurs années car il existe un dialogue permanent entre la mode et la bande dessinée. Dès les premières bandes dessinées, la représentation du vêtement est une composante majeure pour caractériser les personnages : Monsieur Jabot, première BD publiée en 1833 par Rodolphe Töpffer, fait référence à un accessoire de mode porté par le personnage principal. Après 1968, des créateurs de mode sont très influencés par la bande dessinée : Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Jean-Charles de Castelbajac... Les commissaires de l’exposition, Thierry Groensteen et Anne Hélène Hoog, mettent en lumière les très riches relations entre les deux univers.
A l’origine de la BD comme de la mode, on trouve un même geste artistique : le dessin. Qu’est-ce qui différencie un dessin de mode de celui de la bande dessinée ?
La différence est l’imaginaire et la narration : un créateur de mode dessine un vêtement qui sera porté alors qu'un auteur de BD raconte une histoire. De nombreux créateurs de mode ont un dessin original et très maîtrisé. Yves Saint Laurent, avec La Vilaine Lulu, est le seul à avoir publié une vraie bande dessinée dont nous montrons des planches originales.
La mode comme la BD parlent de la société, peut-être plus directement et plus librement que d’autres arts. L'exposition, qui puise largement dans le patrimoine de la BD, le montre bien. Que disent-elles de leur époque?
La mode et la bande dessinée nous parlent des usages sociaux du vêtement, du rapport au corps. Dans le 9e art, plusieurs personnages ont un « look » témoignant d'une émancipation, d'autres ont une apparence vestimentaire caricaturale qui traduit leur soumission à un ordre établi. Dans l’univers des super-héros, l'imagination des auteurs de BD a été fertile avec des innovations futuristes qui inspirent des créateurs de mode tels que Thierry Mugler.
Si elles sont reconnues aujourd’hui comme des disciplines créatives à part entière, la bande dessinée comme la mode ont été longtemps confinées dans un univers un peu marginal, entre commerce et culture populaire. N’est-ce pas également un point de convergence entre ces deux disciplines ?
Effectivement, avec une reconnaissance récente pour les deux disciplines et c'est probablement pour cette raison que des créateurs de mode s’intéressent à la bande dessinée qui joue des représentations stéréotypées du masculin et du féminin et rend compte des évolutions sociétales. Je constate que ce sont deux secteurs de l’excellence française. La France est à la fois le pays de la mode et le pays de la bande dessinée.
En janvier dernier, vous avez remis au ministre de la Culture un rapport sur l’ensemble de la filière de la bande dessinée. Où en est-on de la mise en place d’une année de la BD en 2020 annoncée par le ministre de la Culture ?
Par sa décision de faire de 2020 l'année de la bande dessinée, Franck Riester souhaite porter une nouvelle politique pour le 9e art. Il en a confié l'organisation au Centre National du Livre et à la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image. C'est un projet qui suscite l’enthousiasme des représentants de la filière, des collectivités territoriales et des acteurs culturels. Ce qui montre combien elle a conquis une place nouvelle dans notre paysage culturel.
Franck Riester : "Un nouvel élan pour le 9e Art"
Du soutien à la jeune création à une action patrimoniale déterminée, en passant par un nouvel élan donné à la visibilité de la BD, c'est la "politique d'ensemble" de la bande dessinée qu'il faut "remodeler", a annoncé Franck Riester le 26 janvier. Une décision qui intervient à la suite de la remise du rapport de Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, et de Laurence Cassegrain, directrice de projet au service du livre du ministère de la Culture,sur l’avenir de la bande dessinée.
Point d’orgue de cette nouvelle impulsion, le lancement, en 2020, d’une "année de la bande dessinée", dont le pilotage sera assuré par le Centre national du livre en collaboration avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image. Cette initiative permettra de mettre en lumière et de fédérer tous les aspects de ce mode d'expression en pleine vitalité. Le ministre entend également soutenir les jeunes créateurs de BD, en "facilitant leur insertion professionnelle" et en "encourageant la diffusion de leur travail". Pour cela, il lancera, à l’instar des Albums des jeunes architectes et paysagistes, un "concours biennal pour les jeunes auteurs".
Autre dimension importante : la dimension patrimoniale de la BD. "Aujourd’hui, nous manquons cruellement d’une politique nationale du patrimoine de la bande dessinée", a observé Franck Riester, en indiquant qu’il entendait faire "entrer les fonds d’auteurs de référence dans les collections nationales". Pour cela, il faut les identifier, d’où un "recensement systématique des fonds patrimoniaux de BD dans les collections publiques", qui "s’accompagnera d’une enquête prospective sur les fonds d’auteurs détenus en main privée".
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