Voilà plus de 25 ans, à la suite de la loi Lang du 3 juillet 1985, que la copie privée contribue au financement d’une part capitale de la création artistique française, pour un montant qui s’élevait en 2010 à environ 189 millions d’euros.
Si 75% de ces sommes bénéficient directement aux créateurs, le reste, soit 25 % de la rémunération pour copie privée, est obligatoirement dédié, en application de la loi de 1985, à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes.
En s’acquittant de la rémunération, le public participe donc directement au financement de près de 5 000 manifestations culturelles dans une grande diversité de genres et de répertoires : grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts, spectacles de rue, courts-métrages, documentaires de création…
Cette institution remarquable est aujourd’hui menacée, à la suite notamment d’un arrêt « Padawan » rendu le 21 octobre 2010 par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), que le Conseil d’État a été tenu d’appliquer dans une décision du 17 juin dernier.
Sous une apparence technique, le présent projet de loi répond donc à un enjeu simple et circonscrit dont nous saisissons tous cependant à quel point il est impérieux : il s’agit d’éviter, à très court terme, l’effondrement d’un système si essentiel pour la juste rémunération des auteurs, artistes-interprètes et producteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel, de l’image fixe et de l’écrit, et pour la vitalité de la création artistique française.
Je me réjouis dans ce contexte du caractère particulièrement constructif des travaux et discussions dont ce texte a fait l’objet, que ce soit lors de son examen très consensuel à l’Assemblée nationale ou plus récemment ici, à l’occasion de vos débats en commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je remercie à cet égard monsieur le rapporteur pour le travail très précis et approfondi effectué malgré l’urgence qui nous contraint.
L’objet premier de ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les sénateurs, est donc de sécuriser le mécanisme de la copie privée, à la suite de la décision du 17 juin dernier du Conseil d’Etat.
Jugeant que les supports acquis pour un usage professionnel devaient être exemptés du paiement de la rémunération pour copie privée, le Conseil d’État a condamné le système mis en place par la commission copie privée qui consistait, pour des raisons de simplicité et de prévention de la fraude, à appliquer la rémunération pour copie aux supports susceptibles de servir tout à la fois pour un usage professionnel et pour un usage de copie privée (CD-ROM, la plupart des DVD, téléphones multimédia, clé USB…), moyennant un abattement reflétant la part des usages professionnels.
Cette décision emporte des effets collatéraux très graves car elle prive notamment de fondement juridique, à compter du 22 décembre prochain, l’essentiel des barèmes de perception de la copie privée, et fait ainsi peser une menace immédiate sur la perception de ces 180 millions d’euros.
Par ailleurs, la décision du Conseil d’État entraîne un effet d’aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourraient réclamer le remboursement de l’intégralité des sommes versées, soit un montant de près de 60 millions d’euros, alors même que l’essentiel de ces sommes étaient effectivement dues lorsque n’étaient pas en cause des supports acquis à des fins professionnelles et que la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs.
Le projet de loi permet donc de remédier au risque d’une interruption ou d’une remise en cause de la rémunération pour copie privée lorsque celle-ci est effectivement due, en neutralisant les effets collatéraux de la décision du Conseil d’État :
D’une part, par le maintien, au-delà du 22 décembre prochain, des barèmes de la rémunération pour copie privée, et ce jusqu’à l’adoption par la Commission copie privée de nouveaux barèmes portant sur les supports en cause dans la décision n°11 annulée par le Conseil d’Etat, dans la limite toutefois d’un délai maximum que l’Assemblée nationale a réduit, avec l’accord du gouvernement, à un an ;
D’autre part, en procédant à une validation ciblée des rémunérations antérieures au 17 juin 2011 qui font l’objet d’une action contentieuse.
Cette réponse - j’y insiste - est conforme à la Constitution et au droit européen, et a donc été approuvée par le Conseil d’État lors de l’examen du projet de loi. En particulier, conçue de manière à respecter la chose jugée, elle n’empêche pas les personnes ayant acquis un support pour un usage professionnel de faire valoir leurs droits, car elle ne porte que sur des rémunérations qui ne sont pas couvertes par le motif qui fonde la décision d’annulation du Conseil d’Etat, en faisant notamment obstacle à ce qu’elles soient contestées du fait d’un défaut de base légale.
J’ajoute que le projet de loi, qui répond à d’évidents motifs d’intérêt général en matière de soutien à la création et à la diversité culturelle, est en réalité indispensable pour se conformer à nos obligations juridiques au regard du droit communautaire, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ayant en effet consacré le principe d’une obligation de compensation effective du manque à gagner lié aux actes de copie privée.
Afin de mettre en œuvre la décision du Conseil d’État, le projet de loi organise parallèlement l’exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée, selon deux modalités, inspirées directement de la pratique actuelle de la commission concernant certains supports déjà exemptés de la rémunération : soit sur le fondement d’une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d’être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l’acquisition des supports notamment dans des circuits de distribution spécialisés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs établissant la qualité de professionnel et un usage présumé du support à des fins autres que de copie privée.
Le projet de loi comporte d’autres dispositions, de portée plus limitée, qui constituent néanmoins des précisions utiles.
Il consacre ainsi la pratique de la Commission copie privée en matière d’enquête d’usage.
Il tire également les conséquences d’une autre décision du Conseil d’Etat, en date du 11 juillet 2008, selon laquelle la rémunération pour copie privée n’a pas pour objet de compenser les pertes de revenus liées aux copies illicites d’œuvres protégées, écartant donc de l’assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés.
Le projet de loi a été sur ce point amendé à l’Assemblée nationale – à l’initiative du député Tardy – dans un sens qui ne doit pas susciter de malentendu. En insérant la même précision, relative aux copies de source illicite, au sein d’autres articles du code de la propriété intellectuelle relatifs à la définition de l’exception pour copie privée, cet amendement technique, de pure coordination, ne change pas le périmètre de l’exception pour copie privée par rapport au texte initial du gouvernement : dès lors que les copies de sources illicites ne sont pas dans l’assiette de la rémunération pour copie privée, il est clair - au regard du droit interne mais aussi du droit communautaire - que ces copies ne sont pas couvertes par l’exception pour copie privée.
Le projet de loi prévoit par ailleurs l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement concernant le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti, ce qui représente une avancée intéressante pour la compréhension par chacun du mécanisme de la copie privée et de ses enjeux.
Au regard des interrogations techniques qu’a suscité cette disposition, je tiens à préciser que le gouvernement veillera à ce que les modalités de sa mise en œuvre réglementaire soient les plus souples et les plus pragmatiques possibles.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous l’avez compris : devant une situation d’extrême urgence, ce projet de loi, privilégie une réponse pragmatique, immédiatement applicable, et respectueuse qui plus est des jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne.
Par delà cette réponse de court terme, mon ministère a engagé une réflexion plus globale, plus ambitieuse - que nous appelons tous de nos vœux - sur l’incidence des évolutions technologiques sur le mécanisme de la copie privée. Cette réflexion nous permettra d’aborder l’ensemble des questions souvent légitimes que suscite l’avenir de ce mode de rémunération de la création. Cette réflexion est conduite notamment dans le cadre d’une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, présidé par Sylvie Hubac, qui a été chargée d’étudier l’incidence de « l’info nuage » aussi appelé « cloud computing » sur la rémunération pour copie privée.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, parce qu’il y va de l’héritage d’une loi fondatrice, que nos prédécesseurs ont su à l’époque adopter à l’unanimité, parce qu’il y va de notre responsabilité collective à l’égard de la création, je souhaite que nous puissions parvenir à l’adoption la plus consensuelle possible de cette loi essentielle, qui est avant tout une loi d’urgence. Ce sera une nouvelle fois le signe de notre réactivité, de notre engagement commun pour la défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, de ceux qui créent.
Je vous remercie.