Je l’ai dit à plusieurs reprises, chaque lecteur entretient avec son journal une relation qui est de l’ordre de l’intime, une sorte de dialogue, parfois, souvent même, contradictoire, mais auquel il sent la nécessité de revenir toujours.
Refonder cette relation malmenée notamment par le surgissement des nouveaux médias, est certainement une condition pour sortir de la crise qui frappe actuellement la presse.
Cette crise, dont l’ensemble des aspects font l’objet d’un effort budgétaire sans précédent de la part de l’Etat, s’enracine aussi dans un bouleversement des pratiques de lecture.
Les jeunes nés dans l’environnement numérique sont de grands consommateurs de médias, mais ils font malheureusement l’impasse souvent sur une partie importante de la presse, celle qui forge l’opinion, celle qui contribue à une lecture critique de l’actualité dans sa dimension citoyenne : un nombre croissant d’entre eux ne fait pas, spontanément
le geste d’acheter un journal d’information politique et générale.
70% des 15-24 ans sont connectés à Internet, 82% consultent même régulièrement plusieurs médias en même temps. Les jeunes, par ailleurs, sont connectés de plus en plus tôt : 44% des 6-8 ans surfent déjà régulièrement sur Internet et un enquête récente indique que le « tchat » est l'activité favorite (45%) des 12-18 ans, largement devant les recherches scolaires (18,4%). Ces nouveaux usages témoignent d’un désir de communiquer voire d’apprendre qui est intact, et qui, s’il est mieux accompagné, peut effectivement constituer une chance pour l'information, l'ouverture d’esprit et l’échange.
C’est un fait, les jeunes, en général, lisent de moins en moins. En 1997, 70% des 15-24 ans déclaraient lire un quotidien payant. Ils ne sont plus que 58% en 2008. On pourrait croire, comme les professionnels l’ont cru pendant de nombreuses années, que l’habitude de lecture s’acquiert naturellement avec l’âge, mais c’est de moins en moins vrai. Ce qui
frappe, dans les conclusions de la dernière Enquête sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique que le ministère de la Culture et de la Communication vient de publier, c’est que l’habitude de lecture, si elle n’est prise dès le plus jeune âge, n’est pas rattrapée avec la maturité.
C’est pourquoi, cette étude le rappelle, la reconquête du lectorat des jeunes est un enjeu d’avenir essentiel pour la survie économique de la presse tout entière et pour sa dimension citoyenne. La presse est l’échine de la liberté. Il en va de l’intégration de l’ensemble de la jeunesse à la vie démocratique du pays.
La démarche adoptée par l’Etat et les éditeurs de presse quotidienne que j’ai donc souhaité vous présenter aujourd’hui vise à donner à la presse des moyens de reconquêtes des publics qui lui ont en partie échappé, en particulier les jeunes, sur lesquels une initiation peut avoir un formidable effet de levier.
Il s’agit donc d’intervenir de manière volontariste pour créer et pour stimuler la demande, pour semer un désir d’information et de réflexion : deux éléments indissociables de la vitalité et de la qualité de notre vie démocratique.
La mesure clef, décidée en janvier dernier par le Président de la République, en clôture des Etats Généraux de la Presse Ecrite, et dont j’ai le plaisir de vous annoncer aujourd’hui la mise en place effective est la suivante : nous proposons à tous les jeunes âgés de 18 à 24 ans de bénéficier, s’ils le souhaitent, d’un abonnement gratuit pendant un an, au quotidien de leur choix, parmi près de 60 titres de la presse nationale, régionale, et locale.
Il s’agit là, comme le rappelait le Président de la République, d’une seconde étape, après une première expérience tentée, dès 2006, dans le domaine de la presse régionale et avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, grâce à un budget spécifique, au sein du Fonds de modernisation de la Presse (FDM). L’idée, proposée dès 2004
par Bernard SPITZ, a donc prospéré, et trouve un nouveau souffle cette année avec son élargissement à la quasi totalité de la presse quotidienne française, toutes familles de presse confondues.
Et pour répondre aux besoins de la première édition de cette opération intitulée, baptisée « Mon journal offert », le Projet de Loi de Finances Rectificative de l’année 2009 a doté le Fonds de modernisation de la presse d’une enveloppe de 5 millions d’euros supplémentaires. Ils financeront l’abonnement gracieux des 200 000 jeunes de 18 à 24 ans
visés par la mesure. Cette opération « phare » pour la jeunesse sera reconduite pendant trois ans, pour un budget global de 15 millions d’euros.
La quasi-totalité de la presse quotidienne française, 59 titres, pour être précis, participe à la première édition 2009-2010. Concrètement, chaque jeune qui souhaitera bénéficier de l’offre pourra sélectionner, à partir d’une plate-forme Internet centrale, mise en ligne à l’adresse
www.monjournaloffert.fr, la publication de son choix parmi ces 59 titres.
Ce site fera l’objet d’une présentation tout à l’heure.
Sur la base des expériences menées dans la presse régionale depuis 2006, la formule que nous avons choisie est celle qui privilégie la longueur du contact : une année entière d’abonnement, pour laisser le temps de s’installer à l’habitude de lecture.
Pour éviter un phénomène de rejet de la part d’un lectorat qui reste à familiariser, les éditeurs ont souhaité privilégier un abonnement modulable et progressif d’un exemplaire par semaine.
Cette démarche m’a d’abord, je l’avoue, beaucoup surpris. Il me paraissait plus naturel de fournir un quotidien quotidiennement, et sur une période plus limitée. Mais c’était en fait réagir en adepte de la presse déjà conquis et ouvert à un nouveau dialogue « intime » avec un autre journal. Les éditeurs m’ont convaincu de la justesse et de la finesse de leur
approche et m’ont démontré les risques qu’une greffe trop rapide ne provoque un sentiment de rejet de la part des publics visés, ce qui serait évidemment obtenir l’effet inverse de l’objectif recherché.
Cette mesure, si nécessaire soit-elle, n’est évidemment pas une panacée : pour être vraiment efficace, elle ne doit pas être isolée. Elle doit s’inscrire dans un plan ambitieux en faveur de l'éducation aux médias. C’est pourquoi nous avons décidé récemment, avec Luc CHATEL, de mettre en place un groupe de travail commun réunissant le ministère de
l’Education nationale et le ministère de la Culture et de la Communication. Il sera chargé de rendre opérationnel, pour la rentrée scolaire 2010, au moins cinq des mesures préconisées par le pôle « jeunesse» des Etats généraux de la presse écrite, co-présidé par Jeanne-Emmanuelle HUTIN, ici présente, et François DUFOUR.
Je tiens à remercier tous les acteurs qui ont permis le lancement, vendredi prochain 30 octobre, d’une importante campagne de communication, reposant sur une alliance déterminante entre tous les médias, des plus traditionnels à l’Internet, bien sûr, territoire de prédilection des jeunes que nous souhaitons sensibiliser. Je pense en particulier au groupe
PUBLICIS, et à son président, Maurice LEVY, qui a bien voulu mettre les talents de son excellente agence LEO BURNETT, représentée aujourd’hui par son président, Jean-Paul BRUNIER, à la disposition des éditeurs et du ministère.
Et, avant de laisser la parole aux représentants de Ouest France et du Monde, qui nous donneront tous les éclairages tirés de leur expérience, je voudrais vous rappeler, pour finir, une pensée de VOLTAIRE qui m’a paru tout à fait appropriée à notre projet : « Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié ». En faisant la moitié du
chemin, nous donnons peut-être, à ces lecteurs en herbe, la chance de développer pleinement cet esprit d’examen et de dialogue indissociable du bon fonctionnement de notre République.