« Chaque fois qu’avec l’équipe nous arrivons sur les lieux d’une avant-première, nous trouvons un attroupement devant le cinéma, autour d’une fanfare locale qui entre dans la salle avec la foule. D’emblée l’ambiance est à la joie et à l’émotion, c’est-à-dire en plein dans le propos du film ! Un film à la fois exigeant et populaire, où la musique abolit les frontières. On se retrouve à côté de gens de tous les âges et de tous les milieux, des gens qu’on n’a jamais rencontrés, puis on rit et on pleure tous ensemble pour la même chose. » Benjamin Lavernhe, de la Comédie-Française, ne peut mieux résumer l’esprit de la réception de ce film d’Emmanuel Courcol, En Fanfare, qui, après sa sélection cannoise, a reçu d’ores et déjà onze prix du public, dont le dernier en date décerné à Stuttgart.
Soutenu par les fédérations nationales (Fédération sportive et culturelle de France, Union des Fanfares et ensembles musicaux, Confédération française des Batteries et Fanfares et Confédération musicale de France), le film, dans cette période d’avant-premières, parcourt en effet la France (du 8 au 17 novembre 2024). « Je découvre l’étonnante diversité des styles qui se pratiquent dans les différentes villes, se réjouit Benjamin Lavernhe : de Châtellerault à Colmar, à Poitiers, à Strasbourg…, on trouve de la fanfare de défilé, du brass band ou de la batucada, en passant par l’orchestre d’harmonie ou la batterie-fanfare, avec des tendances estudiantines, ou techno, ou même anarchistes… C’est vraiment une musique festive qui crée du lien et encourage les gens à se décomplexer, à jouer en amateur tout en restant exigeant. »
Et pour nourrir encore, s'il le fallait, cet événement, le compositeur François Boggaert, à la demande du Collectif pour la Pratique Musicale Amateur des Hauts-de-France (CPMA), a arrangé quelques pièces musicales du film qui sont mises à la disposition de chacune des formations musicales dans le cadre de ces avant-premières.
Du plan Fanfare au plateau de cinéma
En écoutant Benjamin Lavernhe, on comprend pourquoi les fanfares, la vitrine sans doute la plus populaire de la pratique musicale amateur, retient l’attention du ministère de la Culture. Son plan Fanfare (voir notre encadré), lancé en 2021, encourage les ensembles musicaux à ressourcer leur énergie et relever de beaux défis. L’Harmonie des mineurs de Lallaing (c’est ce collectif de musiciens amateurs situé près de Douai, dans une ville de ces Hauts-de-France où l’on a fermé les mines, qui a été choisi par Emmanuel Courcol pour incarner la fanfare de son film), avait déjà su convaincre la Direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France de l’inscrire au plan Fanfare.
En 2021, en effet, après le départ en retraite de leur vieux chef, les musiciens se demandaient que devenir. Fallait-il mettre fin à cette tradition musicale si populaire dans le pays, du temps de son âge d’or ? Fallait-il admettre que les jeunes ne viendraient plus jouer avec leurs parents et grands-parents, parce que plus rien n’est comme avant ? Et l’école de musique, n’allait-elle pas disparaître, si les musiciens de l’harmonie se séparaient ? Il fallait réagir.
Delphine Campagnolle, conseillère à l’action culturelle et territoriale de la DRAC des Hauts de France, se souvient : « Dès 2022, ils se sont remis en question. Ils se sont réunis pour réfléchir à des actions qui les relancent. Ils ont été d’emblée dans l’esprit du plan Fanfare, qui incite les collectifs à dialoguer avec d’autres formes artistiques, pour donner aux jeunes l’envie de participer à des projets ambitieux. » Davantage de musiciens en répétition, davantage de jeunes, de sorties, de sollicitations, en un mot plus d’étincelles et plus de vie musicale : tel était l’objectif. Mais les moyens ? Ils les trouvèrent en eux-mêmes, tout d’abord, car ils ne manquaient pas de bonnes idées (nouer un partenariat avec le Centre historique minier de Lewarde, être présents sur les réseaux sociaux, redessiner le costume des musiciennes, organiser des événements avec d’autres ensembles et d’autres styles, créer un spectacle son et lumière sur la mine, intégrer une part de théâtre de rue dans leurs défilés, nouer des partenariats avec tous les sites touristiques propres à rassembler leur public….).
Olivier Viellard, qui partage aujourd’hui la direction musicale de l’harmonie de Lallaing avec son épouse Chantal et avec Henri Dufour, se souvient : « Nos musiciens se retrouvaient de moins en moins dans notre répertoire, par exemple, et le public aussi… Depuis deux ans, nous retravaillons en profondeur cet aspect, sans perdre de vue pour autant notre singularité, qui est d’être une harmonie liée historiquement et intimement à la mine et au monde du travail. Auparavant, nous avions aussi repensé notre costume. Autant d’éléments qu’il a été très intéressant de rediscuter avec l’équipe du film. » Car en effet, il y a désormais le film !
Une plongée dans les métiers du cinéma
« Cette aventure est le couronnement merveilleux de leurs efforts » se réjouit Delphine Campagnolle. Certes, le film d’Emmanuel Courcol, qui a été sélectionné à Cannes, a valu à ces musiciens amateurs de gravir les fameuses marches du Palais des festivals avec toute l’équipe du réalisateur, en juin 2024. Du reste, il continue de leur donner une visibilité extraordinaire par sa carrière en salles. Mais le sel de cette expérience aura été, sans nul doute, l’aspect créatif de la rencontre : incarner un tout nouvel ensemble qui leur ressemble comme un frère photogénique, intégrant quelques comédiens professionnels (Pierre Lottin, Sarah Suco, Jacques Bonnafé… et bien sûr Benjamin Lavernhe), porté par la vision mais aussi l'oreille des costumiers, des décorateurs et, avant tout, celles du réalisateur.
Et l’on devine que le collectif, pris dans l’univers professionnel d’un plateau de tournage, a dû se mettre, c’est le cas de le dire, au diapason. Comme l’explique Benjamin Lavernhe : « Participer à un tournage pour la première fois, c’est déstabilisant. De plus, quand on est aussi nombreux et que la caméra doit attraper des expressions, des visages, et qu’à chacun de ses déplacements, la lumière et les micros doivent suivre, on peut consacrer une journée entière à une minute trente de film ! Il faut avoir la patience de refaire. Il faut trouver comment ne pas surjouer les émotions, comment se laisser filmer au naturel sans être intimidé, trouver la vitesse, la justesse… Or souvent, sur une journée entière l’énergie baisse ! Il faut être « raccord », ce qui veut dire qu’il ne faut pas qu’on s’aperçoive au montage qu’un plan a été tourné le matin et que le suivant l’a été le soir. Quand donc on voyait les musiciens fatigués, il fallait être solidaire, leur rappeler qu’on avait besoin de leur énergie, que c’était une chance qu’ils soient là, et comme il y avait beaucoup de bienveillance et d’amour pour ce scénario, personne n’a manqué de courage. Sans compter que jouer toute la journée, c’est une épreuve pour les lèvres de ces musiciens ! »
Une rencontre qui portera loin
« Nous avons vraiment aimé ces échanges avec les membres de l’équipe du film, confie Chantal Viellard. Quand s’est posée la question du costume de concert des musiciens, c’était important pour eux de voir le nôtre, de le comprendre. De notre côté, nous le mettions à leur disposition pour qu’ils le redessinent comme ils veulent : on était curieux de voir les choix qu’ils feraient. De même c’était très intéressant pour nous de prendre connaissance des idées musicales qu’Emmanuel Courcol nous proposait. Cela nous a conduit à une réflexion de fond sur notre répertoire, et de rebondir avec d’autres propositions. Au bout du compte, nous avons bien sûr suivi ses choix, d’autant plus qu’il nous était parfaitement possible et surtout passionnant, à notre niveau, de jouer ces partitions. »
Le réalisateur, Emmanuel Courcol, ne dément pas l’impression générale : « Immédiatement, les gens se sont montrés accueillants, charmants. Leurs personnalités comme leurs magnifiques locaux en brique et leur salle de répétition, qu’on voit dans le film, correspondaient parfaitement à ce que je cherchais. Le premier jour du tournage ils étaient un peu intimidés mais très vite le naturel a repris joyeusement le dessus. En jouant ensemble (professionnels comédiens-musiciens et amateurs musiciens-comédiens), un véritable esprit de troupe s’est créé. On le ressent dans le film. On retrouve là le pouvoir fédérateur de la musique. »
« A présent, on va faire des avant-premières dans le nord. On va tous partir de Lille dans le même bus : il y aura une belle ambiance ! » conclut Benjamin Lavernhe.
Le plan Fanfare
Les sociétés musicales participent souvent aux différents événements organisés par les communes et constituent une porte d’entrée à l’éveil musical tout en contribuant à la valorisation du patrimoine et l’animation de la vie locale. Le plan de soutien en faveur des fanfares et des orchestres d’harmonie (mis en œuvre en 2021) vise ainsi à valoriser cette pratique artistique et culturelle fédératrice autour de ces projets musicaux communs. Les quatre confédérations et fédérations nationales (la CFBF, la CMF, la FSCF et l’UFEM) ont participé conjointement avec le ministère de la Culture, à l’élaboration et la mise en œuvre de ce plan.
Depuis 2021, plus de 1300 projets ont été soutenus sur tout le territoire métropolitain et ultramarin. Près de 70 % de ces projets ont lieu en ruralité : accompagnement des musiciens en amateur par la formation, ouverture à de nouveaux répertoires, échanges avec d’autres ensembles, intervention des musiciens et des artistes professionnels, renouvellement et qualification des encadrants : chefs de pupitre, chefs d’orchestre, direction d’ensembles musicaux.
La coopération des services du ministère de la Culture et de l’ensemble des fédérations musicales a donné lieu, en 2024, à plusieurs partenariats qui ont permis la participation des fanfares, orchestres d’harmonie et autres formations musicales à trois événements d’envergure nationale : leur mise à l’honneur pour la Fête de la Musique, leur participation à l’animation des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 et la semaine « EN FANFARE » en partenariat avec les cinémas de proximité pour animer les avant-première lors de concerts et de festivités.
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