Depuis sa création en 1997, le festival "Les Femmes S’en Mêlent" s’est imposé comme une plateforme unique pour mettre en lumière les artistes femmes dans les musiques actuelles. Initialement, le projet visait non seulement à offrir une visibilité aux femmes autrices-compositrices et musiciennes, mais aussi à diversifier l’offre artistique dans un milieu où leur présence restait marginale. Vingt-cinq ans plus tard, le festival reste fidèle à cette perception tout en adaptant son action. À travers une programmation éclatée sur plusieurs villes en Île-de-France, des ateliers techniques et artistiques, et des initiatives comme "Les Femmes S’engagent", il poursuit ses objectifs de soutien et de mise en réseau pour les femmes et les personnes non-binaires.
Pour ce 25e anniversaire, Stéphane Amiel, fondateur et programmateur et Adriana Rausseo, co-programmatrice du festival évoquent l’évolution des enjeux : renforcer l’accès des artistes à des opportunités professionnelles, lutter contre les stéréotypes dans la filière musicale, et offrir des espaces sûrs et inclusifs. Les ateliers techniques, dont la demande a fortement augmenté, permettent aux participantes d’acquérir des compétences essentielles en MAO, beatmaking, écriture, et production musicale, contribuant ainsi à leur autonomie et à leur épanouissement artistique. Dans cet entretien, Stéphane Amiel et Adriana Rausseo soulignent également la dimension fédératrice et inclusive du festival, qui dépasse les frontières d’un simple événement musical. Avec une programmation allant du rock indé au hip-hop, "Les Femmes S’en Mêlent" célèbre la diversité musicale, encouragent des collaborations inédites et se positionnent comme un espace d’expression libre et de célébration de la créativité féminine.
Histoire et motivations du festival
Qu’est-ce qui a inspiré la création du festival "Les Femmes S’en Mêlent" en 1997 ? Quelle vision initiale portait le projet ?
C’était non seulement une vision mais aussi une visibilisation des artistes autrices/compositrices et musiciennes femmes. Tout d’abord un goût prononcé pour l’expression artistique et les voix de femmes (comme instrument et aussi comme compositrice) et le constat qu’elles n’étaient pas assez présentes sur les différentes salles que nous aimions. L’impression qu’on ne laissait qu’une place très restreinte aux femmes et surtout que le milieu de la musique nous proposait toujours les mêmes. Nous avons voulu partir dans une entreprise de recherche et de « défrichage » des talents émergents et cachés tout en célébrant des pionnières.
Pour ce 25e anniversaire, comment le festival a-t-il évolué dans ses objectifs et son impact ?
Nous avons deux objectifs, amener une visibilisation et un soutien aux artistes émergentes à travers notre programmation à Paris et en Ile-de-France (mais aussi grâce aux différentes dates partout en France) et contribuer à un empowerment à travers nos ateliers techniques et artistiques. Après plus de 25 ans nous nous sommes rendus compte que le festival pouvait être un levier idéal pour accroître la mise en relation des amatrices et des professionnelles de demain, et contribuer à une plus grande équité et égalité dans le domaine musical.
Depuis 2021, le festival s’est engagé avec plus de force et de volonté dans la professionnalisation et l’initiation aux métiers artistiques pour les femmes dans les domaines de la création et de la technique. C’est cet impact que nous voulons avoir sur les plus jeunes générations.
Pourquoi étendre le festival à plusieurs villes d’Île-de-France et comment avez-vous conçu la programmation pour chaque lieu ?
Le fait d’être présent sur plusieurs villes en IDF nous permet d’expérimenter et compléter notre programmation parisienne en s’appuyant sur l’expertise des différentes équipes et l’ADN de chaque salle. Cela nous permet d’échanger, de discuter sur les points d’action à travailler ensemble. LFSM est un festival que nous voulons fédérateur et participatif.
Notre collaboration avec Le Hangar à Ivry-sur-Seine ? Un partenaire avec lequel nous travaillons depuis 3 ans maintenant, en est un bon exemple. Nous aimons réfléchir ensemble sur l’élaboration du projet. Cela nous permet de tester de nouvelles approches artistiques en phase avec les attentes et les souhaits de nos différentes interlocutrices.
Comment le festival contribue-t-il à l’inclusion des femmes et des personnes non-binaires dans les musiques actuelles ?
Pour le côté artistique, l’ouverture et la liberté de notre démarche de programmation nous permet de mettre en avant des projets artistiques portées par des femmes et des personnes non-binaires, qui de plus savent que nous mettons en place des choses afin de tendre vers des événements plus safe. Nous nous efforçons également à développer une communication inclusive, pour que les artistes puissent se sentir à leur place au Femmes S’en Mêlent.
De même, le dispositif les Femmes S’engagent s’adresse aux femmes et aux personnes non-binaires et minorisées, que cela soit pour de la formation, de la pratique musicale, entre autres.
Le tout dans le but d’avoir des représentations plus justes et diverses à tous les niveaux de la filière (sur scène, en coulisses et partout ailleurs).
"Les Femmes S’engagent" est une initiative parallèle à la programmation musicale. Créé en 2021, les actions de ce dispositif ont-elles un peu évolué face aux demandes ?
Oui, les actions ont évolué face aux demandes chaque année, mais aussi face aux constats que nous avons faits. Ces constats ont été observés et renforcés par les retours de participantes, via des questionnaires d’évaluation qu’on distribue depuis 2021 et qui nous ont permis d’améliorer nos propositions. C’est le cas pour la durée et les modalités des ateliers, les thématiques à aborder à l’avenir, notamment. De plus, comme la force du dispositif repose sur le travail collectif que nous menons avec une diversité de partenaires, leur expertise, l’échange des connaissances et la mise en commun de ressources nous permettent d’intégrer des nouvelles approches pour nos actions, ainsi que des manières novatrices de travailler.
Quels résultats concrets avez-vous observé dans les ateliers et les rencontres organisés dans le cadre de "Les Femmes S’engagent" ?
Le premier résultat que nous observons est une demande croissante pour les ateliers pratiques et techniques avec beaucoup d'inscriptions et de longues listes d’attente. Nous constatons que l’autonomie est au cœur des questionnements des artistes mais également d’autres professionnelles de la filière.
Nous avons pu observer l’utilité de certains de ces ateliers pour le développement des projets artistiques, notamment ceux en lien avec la création et la production musicale. Les connaissances qu’elles y ont acquises en termes de MAO, beatmaking, écriture ou encore coaching scénique ont servi leurs projets.
Nous constatons également que ces actions sont très appréciées par les artistes, pour l’espace qu’elles ouvrent pour rompre avec la dimension "solitaire" de la création et la pratique musicale. L’importance du développement et renforcement des réseaux (de plus en plus importants) revient toujours à l'issue des ateliers.
Programmation artistique et diversité musicale
Avec une programmation qui va du rock indé au hip-hop et à la cold-wave, comment choisissez-vous les artistes et les genres représentés ?
Nous avons toujours aimé présenter des rôles modèles très divers et varié et d’élargir la famille des Femmes s’en Mêlent à différentes esthétiques musicales, souvent considérées comme "niche" (la musique expérimentale, le garage rock, la musique instrumentale, et un vaste courant d’électro allant de la techno à l’ambient), pour ne pas nous restreindre à un genre musical. C’est donc une envie et une ambition de représenter une grande diversité de styles, de tempéraments et d’approches artistiques. C’est de créer une vision d’ensemble et un imaginaire large.
Parlez-nous de la réaction des artistes invitées ? Leur enthousiasme ?
Difficile de parler à leur place… Ce que nous pouvons dire c’est qu’il y a toujours une envie et de l’enthousiasme des artistes qui y sont programmées. Nous pouvons sentir que l’événement est toujours présent et important même pour les plus jeunes générations qui n’avaient que quelques années quand le festival a commencé. Nous avons une longue histoire et une longue liste d’artistes programmées qui ont construit l’imaginaire du festival. Ce qui lui donne toujours une forte présence aujourd’hui. Toutes les artistes qui y participent contribuent à écrire son histoire et à établir une filiation entre elles toutes. Nous construisons au fur et à mesure des familles qui aiment se retrouver aux femmes s’en Mêlent.
En quoi l’approche du festival, qui mélange styles musicaux et cultures artistiques, contribue-t-elle à son message d’inclusion et de diversité ?
C’est un festival qui a voulu programmer dès ses premières années des artistes qui peuvent être vues comme des "rôles modèles", avec une variété de styles et de tempéraments très éclectiques. Nous essayons d’explorer et de présenter une diversité de genres musicaux pour créer une vision élargie et ne pas se limiter à "un genre". Cela contribue à une visibilité plus large et lutte aussi contre les préjugés et les stéréotypes.
L’édition de cette année prévoit des soirées spéciales comme la Block Party et des collaborations inédites. Comment avez-vous conçu ces événements pour mettre en avant la créativité féminine ?
La plupart des événements sont le fruit d’un travail collectif, les plateaux sont réfléchis et discutés avec les partenaires. Pour la soirée Block Party qui aura lieu au Hangar à Ivry sur Seine le 16 novembre, nous avons voulu convier plein d’artistes qui collaborent ensemble, qui parfois créent des projets communs pour que cette soirée soit une véritable célébration de leur art et du collectif. Cette soirée s’inscrit dans l’esprit des block parties, initiatrices de la culture Hip Hop, pour revenir aux racines du mouvement en revendiquant le côté populaire, urbain, divers, libre et hybride. Il ne s’agit pas de l'énième plateau "rap féminin", mais plutôt d’une célébration sororale. Avec cette Block Party nous voulons revendiquer que dans le rap comme dans d’autres esthétiques il y a de la place pour toutes.
Dans la même perspective, il y a la soirée du 30 novembre au Plan à Ris Orangis, avec un plateau d’artistes qui collaborent depuis longtemps, grâce, notamment, à une initiative partenaire, le programme de mentorat pour les artistes : la Women Metronum Academy (WMA), porté par la salle toulousaine le Metronum. Sandra Nkaké a été la mentore d’Anaïs Rosso cette année et Sônge celle de Frieda en 2021. Le 30 novembre elles partageront la scène pour notre avant dernière date du festival, pour une belle célébration de la scène française et de la sororité en musique.
Et la collaboration inédite de cette année, c’est notre partenariat avec le GuitarFest de la ville de Clichy et le concert de clôture de notre 25e anniversaire le 1er décembre au Conservatoire Léo Délibes. Nous aurons le plaisir d’accueillir pour la 3e fois, la talentueuse guitariste étatsunienne Kaki King, une artiste qu’on soutient depuis longtemps.
Impact et ambitions pour le futur
Quels retours avez-vous eu des éditions précédentes, et quels effets positifs avez-vous observé pour les artistes participantes ?
Le festival créé du lien et des échanges entre les artistes. Nous pouvons constater que de nombreuses musiciennes ont pu travailler ensemble après avoir participé à nos événements. Cela leur permet aussi de trouver des partenaires professionnels pour leurs projets grâce à la mise en avant de leur participation aux Femmes s’en Mêlent.
Certaines anecdotes nous laissent comprendre que les artistes sont contentes de se trouver au festival. Il y a par exemple cette artiste qui nous a dit avant de monter sur scène, qu'elle ne revenait pas d’être un co-plateau avec une artiste qu’elle écoutait énormément avant de se lancer dans la musique et qui l’a même motivée à commencer.
Quels progrès espérez-vous voir dans la représentation des femmes dans les métiers techniques de la musique, grâce aux ateliers techniques ?
Nous aimerions bien évidemment voir encore plus de femmes, plus de personnes minorisées, et plus de personnes racisées dans des métiers techniques et ce à tous les niveaux. Avec nos ateliers nous permettons d’appréhender les bases techniques, pour les artistes, leur entourage et toute personne souhaitant apprendre le langage et des outils techniques. Mais ce n’est pas la seule manière de contribuer à une représentation plus égalitaire et inclusive dans les métiers techniques. Nous souhaitons également agir sur le sexisme et les discriminations qui persistent dans la filière et donc dans les milieux techniques. Cette semaine le groupe toulousain Madam, que nous avons programmé au Hangar à Ivry sur Seine en 2023, a partagé une publication sur Instagram dans laquelle, les artistes parlent des comportements et commentaires sexistes, violents et discriminants qu’elles ont vécu en 2024. Certaines remarques concernent les équipes techniques. Nous ne pouvons pas atteindre une parité ou avoir des représentations plus égalitaires s’il n’y a pas un changement radical de mentalités et de pratiques dans le milieu de la musique.
Les ateliers qu’on propose sont un espace d’expression de ces réalités, des vécus des femmes et personnes minorisées, mais aussi des lieux d’empowerment, car le savoir c’est aussi le pouvoir! Néanmoins, il faut sensibiliser à ces micro-agressions et aux expériences négatives vécues, pour chercher des solutions communes et avoir un réel impact sur les représentations.
Quels sont les principaux défis que le festival mène aujourd’hui pour atteindre l’égalité et l’inclusion dans le secteur musical ? La création d’événements culturels comme "Les Femmes S’en Mêlent", est-elle le meilleur chemin pour la "déconstruction" des préjugés ?
C’est avant tout un événement fédérateur et que nous voulons rassembler. C’est à la fois une célébration et un lieu d’apprentissage, et il nous semble important de pouvoir construire un avenir plus soucieux d’égalité et de diversité. Le défi c’est toujours l’attention à l’autre et le vivre ensemble dans un climat plus favorable aux artistes émergentes et aux jeunes professionnelles.
La création d’événement comme LFSM est en tout cas une réponse positive à la créativité et à la technicité des artistes femmes dans la musique. C’est un espace qui, nous l'espérons, donne plus de forces et d’envies de réaliser des actions pérennes et des projets communs.
Les Femmes s’en Mêlent est bien plus qu’un simple festival. Pouvons-nous dire qu’il est une déclaration d’intention en faveur d’une scène musicale plus juste, plus inclusive et plus diversifiée ?
Oui, c’est une déclaration d’intention, mais aussi une force de proposition et un laboratoire en constante évolution. Nous questionnons nos pratiques et essayons d’évoluer de pair avec la société dans laquelle nous vivons. Nous n’inventons rien de nouveau, en revanche nous amplifions les bonnes initiatives, nous les rendons accessibles au plus grand public, nous les faisons voyager en France et nous mettons en commun des forces engagées dans la musique pour plus d’égalité et d’inclusion.
Rôle de l’État et collaboration
Comment la DRAC Île-de-France vous accompagne-t-elle dans ces valeurs d’égalité et de diversité ?
La DRAC Île-de-France nous accompagne depuis 2021, grâce à son soutien nous sommes en mesure de proposer de nombreuses actions en gratuité, ce qui le rends plus accessible pour un large public. Son accompagnement nous a également permis de repenser notre présence dans le territoire francilien et de renforcer nos partenariats avec des acteurs et actrices de la région, qui sont engagés dans les valeurs que nous défendons, que cela soit des salles, des associations, des collectifs ou encore le RIF (réseau des musiques actuelles en Ile-de-France) dont nous sommes adhérents depuis 2021.
Nous espérons pouvoir mener des actions à une échelle encore plus grande en 2025 avec de nouvelles salles franciliennes, et ce notamment par rapport à l’autonomie technique.
Expérience des artistes et du public
Quels retours recevez-vous des artistes qui participent au festival, en particulier celles qui débutent dans la musique ?
C’est un tremplin important pour celles qui commencent et qui aiment se retrouver dans les valeurs de l’événement. Il y a un vrai attachement au festival, et nous pouvons le constater sur toutes les générations. Les demandes de programmation sont à chaque fois de plus en plus nombreuses car malgré les prises de consciences et les efforts fait par une partie de la filière, force est de constater qu’il y a un manque d’espaces.
Quels échanges ou témoignages du public vous ont particulièrement marqués ces dernières années ?
Nous retrouvons un public fidèle et qui a une multitude d’anecdotes à raconter concernant les concerts vus au festival. Il y a toujours un classement des meilleures prestations live et des meilleures découvertes au fil des années. Le public vient voir de la découverte, et ce qui nous marque à chaque fois ce sont les demandes croissantes d’inscriptions à nos ateliers. On peut à la fois se "former" et s’amuser.
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