Ugo Mulas, Verifica 13, autoportrait avec Nini © Ugo Mulas Heirs Droits réservés / Centre Pompidou / Philippe Migeat
« Qu’est-ce qu’un photographe aujourd’hui ? » Ouvrant la rencontre, Daniel Barroy, chef de la mission photographie au Ministère de la Culture et de la Communication s’inspire, pour le prolonger, du titre de l’exposition – Qu’est-ce que la photographie ? – présentée par le Centre Pompidou dans son nouvel espace dédié à la photographie. « La photographie est le secteur culturel le plus violemment touché par l’éruption de la révolution numérique, constate-t-il. Dans leur pratique quotidienne, les photographes sont confrontés à une grande diversité de situations. L’enquête dresse un état des lieux en 2015, l’intérêt est de le confronter avec la perception que les photographes eux-mêmes ont de leur métier ».
Denis Roche, 5 avril 1981, Gizeh, Égypte, 1981 © Denis Roche. Crédit : Centre Pompidou / Bertrand Prévost
Avant d’en venir aux résultats de l’enquête réalisée par les chercheurs Claude Vauclare et Rémi Debeauvais pour le DEPS, une donnée frappe d’emblée : 3000 photographes, soit 53 % de ceux qui en ont été destinataires, ont répondu. « C’est extrêmement élevé, c’est en dehors de toutes les normes connues, cela révèle un désir de la profession de se connaître mais c’est aussi le signe d’une grande inquiétude », estime ainsi Catherine Paradeise, sociologue, professeur émérite à l’Université Paris-Est, invitée à commenter l’étude. Une donnée qu’il convient de rapporter au nombre total de photographes qui se situerait entre 24 000 et 25 000, la population des photographes étant difficile à dénombrer précisément en raison de son rattachement à plusieurs catégories statistiques.
Le numérique et l’inflation sans précédent de l’offre de photographies ont redéfini les pratiques de toute une profession
Le constat principal, dressé par Claude Vauclare et Rémi Debeauvais, les deux auteurs de l’étude, tient en quelques mots : les nouvelles technologies numériques et l’inflation sans précédent de l’offre de photographies ont redéfini les pratiques de toute une profession. Pour autant, « celle-ci est en expansion, ses effectifs ont augmenté de 37% entre 1995 et 2010, cette augmentation étant proportionnellement beaucoup plus importante chez les femmes que chez les hommes. Il faut aussi noter la croissance forte des non salariés et notamment le nombre important d’auto-entrepreneurs », précise Rémi Debeauvais tandis que Claude Vauclare lève un peu plus le voile sur ceux qui se destinent à être photographe aujourd’hui : c’est une profession de passion que l’on choisit jeune et dont le niveau de formation est élevé. L’offre de formation initiale s’est développée et elle est à présent couplée à une importante offre de formation continue.
Il faut également noter l’absence de spécialisation univoque. Trois secteurs arrivent en tête : photographie d’entreprise, photographie artistique et photographie de presse. « Le marché est aujourd’hui tiré par la communication d’entreprise, une situation liée à la montée en puissance de ce domaine spécifique de communication. C’est une source de fragilisation car les budgets de communication sont précaires », s’inquiète Claude Vauclare.
Une donnée frappe d’emblée : 3000 photographes ont répondu à l'enquête, soit 53 % de ceux qui en ont été destinataires !
La diversification apparaît à cet égard comme une nécessité, 30% des photographes ont du reste une autre activité: « A l’image des comédiens, il faut diversifier son portefeuille d’activités pour limiter les risques de perte de revenus », plaide Catherine Paradeise, qui préconise par ailleurs de réfléchir au statut du photographe en l’intégrant à l’ensemble des professions de l’image. Et les deux auteurs de conclure sur les principaux enjeux auxquels est aujourd’hui confrontée la profession : aller vers une simplification statutaire et faire respecter le droit d’auteur, améliorer la visibilité sur l’emploi, mieux appréhender l’économie du secteur, prendre en compte la diversification des activités, renforcer la professionnalisation.
Florence Paradeis, Les Images, 1995 © Florence Paradeis & In Situ – Fabienne Leclerc, Paris © Centre Pompidou / Bertrand Prévost
Autant de pistes que les témoignages des photographes réunis autour de Frédérique Patureau – chargée d’études Emploi et professions culturelles au DEPS - sont venus illustrer. « Je me suis reconnue dans cette enquête, déclare Magali Delporte, photographe et membre de Picturetank, coopérative de diffusion photographique. J’ai commencé à exercer mon activité de photographe à l’âge de 24 ans, il s’agit de mon seul revenu d’activité, je travaille essentiellement en tant que photographe de presse. La formation à mon sens est capitale. En 1999, quand j’ai commencé, on ne travaillait pratiquement qu’en argentique, je me suis formée seule au numérique et je suis ravie aujourd’hui d’avoir accès à des offres de formation continue ». Thierry Secrétan, photographe et cinéaste, président de l’association Photographes Auteurs Journalistes n’y va pas par quatre chemins : « Les patrons de presse coupent dans les budgets photo. Il est temps d’indexer les aides à la presse à une production qui soit propre aux titres. De même, je pense qu’une institution nationale autour de la photographie sur le modèle du CNC avec un système d’avances sur recettes, permettrait à la profession de respirer ». Philippe Schlienger, photographe, directeur artistique et président de la commission auteurs photographes de l’AFDAS, revient quant à lui sur la place centrale du photographe dans les mutations que connaît la culture en général - « Depuis une dizaine d’années, les photographes ont su déceler tout ce qui allait arriver » - et plaide pour que les photographes puissent eux-mêmes faire remonter leurs souhaits de formation. « Plutôt que d’insister sur la crise que traverse la profession, il faut mettre en avant le talent et la qualité des images. Aujourd’hui, pour les diffuseurs, une bonne photo est une photo gratuite ou vendue à un prix dérisoire, je ne pense pas que ce soit leur rendre service d’accepter que la qualité soit médiocre, au risque de choquer, je pense que lorsque les conditions ne sont pas bonnes, il ne faut pas accepter de travailler », déclare enfin sans ambages Christian Chamourat, photographe et président de l’Union des photographes professionnels.
Man Ray, Boîte d’allumettes fermée, vers 1960 © MAN RAY TRUST / ADAGP, Paris, 2015 © Centre Pompidou / Philippe Migeat
« Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est le sens que l’on donne au mot production à un moment où l’ensemble des entreprises qui intervenaient par le passé - la presse, les agences - sont en train de s’effondrer. Il faut un système industriel qui soit capable de prendre en charge l’ensemble de la problématique : comment est-ce que l’on va chercher une commande ? Une fois celle-ci obtenue, comment négocie-t-on sa rémunération ? Enfin, une fois la commande rendue, comment est-on capable d’exploiter l’ensemble des images ? Il s’agit de la production au sens économique du terme, beaucoup d’efforts restent à faire, mais c’est la clé, me semble-t-il. Les modèles de cette nouvelle économie sont très mal connus mais il est primordial que ses acteurs soient capables de participer à son élaboration » conclut Daniel Barroy.
Et aussi…
> 90% des photographes pratiquent la photographie numérique à titre principal. Pour autant, l’argentique n’est pas délaissé : plus du tiers des photographes continuent à l’utiliser en complément du numérique.
> 75% des photographes travaillent à la commande et 90% exercent seul leur activité
> Près de 90% des photographes sont des photographes-auteurs, signe de la progression du non-salariat (au début des années 90, l’exercice de la profession s’effectuait à parts sensiblement égales entre salariat et non-salariat). En toute logique, le régime fiscal dominant est celui des bénéfices non commerciaux, le plus répandu parmi les photographes auteurs. Néanmoins, 10% des photographes relèvent simultanément de plusieurs régimes fiscaux.
> Facteur d’inquiétude important, celui de la baisse du revenu des photographes : ainsi, en 2013, pour 43% d’entre eux, il ne dépasse pas 15 000 euros et ils sont près d’un tiers à déclarer un montant annuel situé entre 15 000 et 30 000 euros. Près de 30% des photographes déclarent que leurs revenus ont beaucoup baissé ces dernières années.
> Les jeunes photographes perçoivent des revenus très modestes. Parmi les photographes déclarant avoir perçu moins de 15 000 euros de revenus d’activité en 2013, les jeunes sont sur-représentés.
> L’impact du numérique et des nouvelles technologies est globalement perçu positivement. Si 60% des photographes sont pessimistes ou plutôt pessimistes, peu envisagent de quitter le métier, 77% veulent même développer leur activité.
Source : Claude Vauclare et Rémi Debeauvais, Le métier de photographe, DEPS, collection « Culture études », ministère de la Culture et de la Communication, mai 2015
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