Nombre de musées territoriaux, qui laisseront leurs portes ouvertes à l'occasion de la Nuit européenne des musée, samedi 13 mai, ont chacun leurs trésors toujours intéressants, au carrefour de l’histoire, des métiers d’art, de l’industrie, des Beaux-Arts… Celui de l’Isle-Adam, musée d’art et d’histoire Louis Senlecq (musée municipal qui bénéficie de l’appellation Musée de France), tout en s’intéressant au souvenir local des princes de Conti et en présentant une très belle collection de céramiques issues des manufactures locales, se distingue par ses collections de peintres paysagistes des bords de l’Oise.
« C’est cette notion de paysage qui nous intéresse particulièrement, nous explique Caroline Oliveira, la directrice du musée, et que nous mettons en avant à travers deux expositions par an, l’une généralement plutôt historique, sur des artistes présents dans les collections, par exemple, et l’autre tournée vers des artistes contemporains, généralement de notre territoire, le Vexin. Or cette fois-ci, nous avons eu le désir d’aller au-delà des mediums de la peinture, du dessin ou de l’estampe, en faisant appel au duo d’artistes Marie Ouazzani et Nicolas Carrier, qui nous proposent une installation et un esprit résolument contemporains, et qui intègrent les problématiques de la crise écologique que nous vivons, dont les effets sur les paysages ne peuvent pas être ignorés. »
Prendre le temps de lire les paysages d’aujourd’hui
L’exposition s’intitule Emprunt lointain. Il s’agit du triple prélèvement (ou emprunt) de plantes, de langues et de motifs paysagers (le jardin, le port industriel mondialisé), pris sur le monde que nous vivons, surgis par les portes et les fenêtres du musée, pour s’y installer sur deux niveaux.
Le visiteur est d’abord convié, au premier niveau, à prendre le temps de se servir une infusion. Au choix : nénuphar, pissenlit, ortie ou lierre. L’idée est ici de laisser refroidir son breuvage et, pendant ce moment, de préparer le regard, et même les papilles, de visiteurs ainsi prévenus, s’agissant de paysages, que voir et boire, c’est tout un (selon la vieille tradition latine qui rapproche savoir et saveur). « Et là il y a des plantes en pot, ornementales, comme on les trouve dans les bureaux ou auprès des banques d’accueil, qui sont elles aussi abreuvées de ces mêmes infusions par un système de goutte à goutte, nous explique Marie Ouazzani. Aux murs, de grands polaroïds ou des photos numériques scannés et agrandis donnent un premier panorama de différents espaces significatifs : jardins et parking, jardin et pavillon de banlieue, ruines antiques et ruines contemporaines, en région parisienne, au Japon, en Italie… Autant d’objets uniformisés par la mondialisation, qu’on retrouve aussi avec ces plantes si fréquentes dans la décoration d’intérieur. Nous avons voulu, au début, donner non pas seulement des images mais le panorama d’un monde en état de crise climatique, potentiellement déserté, abandonné, où parfois la végétation prend déjà le pas sur l’architecture. »
Imaginer le devenir et les ressources du vivant
« Le projet, pour une part, est né de nos promenades dans le port de Brest, nous confie Nicolas Carrier. Notre attention y a été arrêtée par la présence de nombreux palmiers. Or, il faut savoir que Lisbonne, quant à elle, compte de très nombreux yuccas, qui ont peut-être deux cents, trois cents ans. Ils témoignent naturellement de la mondialisation. Nous avons donc réalisé, pour le second niveau de l’exposition, quatre vidéos que nous qualifions d’extra-tropicales, dans quatre ports européens. Chaque film s’efforce d’épouser le point de vue d’une plante qui en est caractéristique : les palmiers de Brest, les yuccas de Lisbonne, les figuiers de barbarie de Gênes, et… un hévéa, plante à caoutchouc que nous avons nous-mêmes apporté à Anvers, qui est le port par lequel elle est arrivée en Europe, avec le destin industriel que l’on sait. »
« Dans chacune des vidéos, complète Marie, un texte défile sur l’image, rédigé dans la langue parlée sur place (portugais, italien, néerlandais, français) qui présente la plante, son histoire et l’histoire humaine qui lui sont liées, et formule une hypothèse imaginée pour son devenir et celui de l’humanité. » Des secours imaginaires et souhaitons-le bien imaginés, voire anticipés et visionnaires, qui pourraient s’avérer précieux à l’avenir !
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