Et si la bande dessinée proposait aux jeunes générations une porte d’accès inédite au monde du patrimoine ? Ce pari, deux éditeurs – les éditions du Patrimoine et les éditions Glénat – l’ont relevé avec brio. Qu’on en juge. Du Panthéon au Mont-Saint-Michel, en passant par l’Arc de Triomphe et la Sainte-Chapelle, des monuments emblématiques du patrimoine français sont désormais des « acteurs » à part entière de bande dessinée.
Comment pareille alchimie entre une solide documentation historique et un travail d’imagination est-elle possible ? Pierre-Roland Saint-Dizier, scénariste de l’album L’architecte du Palais, dont Andréa Mutti est le dessinateur, nous livre ses réponses sur ce mode de transmission original, mis en lumière par la concomitance de deux opérations conçues par le ministère de la Culture : l’année de la BD et l’édition 2020 des Journées européennes du patrimoine qui porte, cette année, sur « patrimoine et éducation ».
Comment vous est venue l’idée d’écrire sur la Sainte-Chapelle ? Est-ce une sollicitation d’éditeur ou un choix personnel ?
J’avais déjà écrit Campus Stellae, une série d’albums faisant référence à plusieurs monuments historiques sur les Chemins de Compostelle. Il m’a paru tout naturel de continuer sur cette lancée. J’ai donc proposé aux Éditions du Patrimoine de travailler sur la Sainte-Chapelle et ils ont accepté ce projet, qui correspondait à leur démarche éditoriale : présenter, à travers la bande dessinée, des édifices emblématiques avec une approche originale et grand public.
La Sainte-Chapelle ne laisse personne insensible. Je l’avais visitée il y a quelques années, avant la restauration de ses vitraux qui, pour l'essentiel, datent de l’époque de Saint-Louis. D’un point de vue technique et architectural, c’est une immense prouesse : difficile de croire que cette "cathédrale miniature", presque entièrement vitrée, date du XIIIe siècle... Elle a, de plus, été édifiée en vue de servir d’écrin aux plus précieuses reliques de la chrétienté, acquises par Saint-Louis. Tous ces éléments m’avaient interpellé quand je l’ai découverte, mais j’étais cependant loin de m’imaginer que je me plongerais encore davantage dans cette histoire en travaillant sur le scénario de L’architecte du Palais.
Dans votre BD, la Sainte-Chapelle est un acteur à part entière du récit. Écrire autour de l’histoire d’un monument est un exercice relativement inattendu pour un auteur de BD… Comment avez-vous procédé ?
Il est vrai que dans la bande dessinée l’intrigue tourne la plupart du temps autour d’un personnage principal. Dans le cas présent, c’est la Sainte-Chapelle qui est au cœur du récit : elle en est à la fois le personnage et le décor principal. L’histoire que je raconte fait également la part belle à un oublié de l’Histoire, cette fois avec un grand H : son mystérieux architecte ! On ignore, en effet, l’identité de l’auteur de ce chef d’œuvre du gothique. Les historiens ont bien émis quelques hypothèses, car d’autres monuments religieux ont par leur architecture quelques similitudes avec la Sainte-Chapelle, mais ils n’ont pas réussi, à ce jour, à s’accorder sur la question. Ce mystère originel constitue le point de départ de mon scénario.
L’histoire que je raconte fait la part belle à un oublié de l’Histoire : son mystérieux architecte ! On ignore, en effet, l’identité de l’auteur de la Saint-Chapelle. Ce mystère constitue le point de départ de mon scénario...
Votre récit repose cependant sur une solide base documentaire et historique...
Pour écrire, je me suis dans un premier temps beaucoup documenté sur la Sainte-Chapelle : lectures, recherches historiques, échanges avec des historiens spécialistes du sujet… Ce travail de fond a été d’autant plus nécessaire que nous avons peu d’éléments à notre disposition pour comprendre ce monument ; les plans originels de la Sainte-Chapelle, par exemple, ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Il a donc fallu que je me renseigne sur la manière dont on construisait une église au XIIIe siècle, les corps de métiers impliqués, le rôle du maître-verrier… La fiction est venue dans un second temps, elle s’est greffée sur ce socle de connaissances que j’ai acquis. Et – surtout – elle permet de combler le trou béant laissé par la question suivante : « pourquoi n’a-t-on jamais su qui était l’homme qui a conçu ce chef d’œuvre gothique ? » . Ainsi, au-delà du roi de France, l’incontournable Saint-Louis, nombre des personnages qui interviennent dans l’intrigue sont issus de mon imagination, à commencer par le mystérieux architecte.
En réalisant ce thriller historique, vous donnez aux lecteurs l’opportunité de redécouvrir l’un des édifices les plus visités de Paris sous un angle original. En quoi ce défi était-il intéressant à relever ?
Collaborer avec les Éditions du Patrimoine revient à donner à son propre travail un véritable enjeu historique et pédagogique, ce qui, en soi, constitue un beau défi pour un scénariste. J’avais un double objectif : raconter l’histoire de ce monument sans la trahir et entraîner le lecteur dans une aventure. Dans plusieurs planches, j’essaye de donner les clefs pour comprendre l’histoire de cet édifice et le contexte dans lequel il a été construit. On l’a oublié aujourd’hui mais la Sainte-Chapelle représentait symboliquement le pouvoir du roi par le fait qu'elle contenait les plus précieuses reliques dont la couronne du Christ... Si on n’a pas cette information là, on perd le sens de cette architecture et de ce patrimoine. J’espère que L’architecte du Palais permettra de poser sur la Sainte-Chapelle un autre regard.
Et vous-même, posez-vous un autre regard sur le patrimoine après cette passionnante incursion dans les arcanes de la Sainte-Chapelle ?
Depuis longtemps, je suis convaincu de l’importance du patrimoine, de sa conservation et de sa transmission aux générations futures. Le patrimoine ne doit pas se réduire à un simple instrument au service du tourisme. En ce sens, la bande dessinée et les Journées européennes du patrimoine sont, à mon avis, un très bon moyen de se réapproprier cette histoire. C’est d’autant plus important que, comme l’a montré l’incendie de Notre-Dame de Paris, rien n’est jamais acquis dans ce domaine. Bâtie en 1248, la Sainte-Chapelle a traversé le temps, mais qu'en sera-t-il demain ? Il est essentiel, je pense, de s’interroger sur ce que l’on fait de ce patrimoine aujourd’hui – car il sera aussi celui de demain et, à ce titre, il doit rester vivant.
« Levez les yeux ! » : transmettre aux plus jeunes le goût du patrimoine
Transmettre aux enfants et adolescents le goût du patrimoine, c'est aussi l'ambition de « Levez les yeux ! », une opération grandeur nature d’éducation artistique et culturelle, conçue par le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Son but ? Sensibiliser les enfants à l’importance du patrimoine et de l’architecture dans leur cadre de vie. Pour sa deuxième édition, « Levez les yeux ! », qui se tiendra vendredi 18 septembre, apparaît donc plus que jamais nécessaire.
Nécessaire, parce qu’il est déterminant que les scolaires invités, de la maternelle à la terminale, prennent conscience de ce qui constitue leur cadre de vie quotidien. Sous la conduite de leurs enseignants, ils apprendront à distinguer un édifice remarquable, une rue typique ou un ensemble d’urbanisme.
« Levez les yeux ! » est nécessaire aussi, parce que, cette année, le thème des Journées européennes du patrimoine porte sur « patrimoine et éducation : apprendre la vie ». Une raison supplémentaire d’adhérer sans restriction à cette belle initiative, qui généralise les opérations déjà existantes comme « Les Enfants du patrimoine » du réseau des Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) qui existe depuis 17 ans en Île-de-France et est étendu dans plus de 50 départements.
A noter : cette année, le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, en association avec l'Institut national d'histoire de l'art (INHA), met à disposition des professeurs des écoles un vademecum pour les aider dans l'approche du patrimoine de proximité avec leurs élèves.
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