Pour sa toute première exposition temporaire, la Cité internationale de la langue française reprend avec brio l’intuition du Montesquieu des Lettres persanes : il est grisant de se placer dans le regard de l’autre pour mieux se voir et s’étudier soi-même. Y a-t-il un univers plus méconnu des Français, en effet, que le monde non-francophone des fans des chansons francophones ? À commencer par s’apercevoir que ce monde existe. Et à poursuivre en essayant de comprendre ce que les étrangers aiment et ressentent des Feuilles mortes ou d’Eblouie par la nuit.
Des succès emblématiques à l’étranger
Étrange et rare expérience que cette démultiplication des miroirs ! À Villers-Cotterêts, cette exposition propose au public de savourer ce que c’est que d’être, ne serait-ce qu’un court moment, l’autre de l’autre…
À ce titre, le comble est vite atteint lorsqu’on apprend que le public japonais compte au nombre de ses idoles de la chanson une artiste française vivant à Paris, Clémentine, dont ni vous ni moi n’avons (presque) jamais entendu parler. L’intéressée tente de l’expliquer (au journal le Parisien) : « C’est peut-être ma voix, un timbre, quelque chose comme le vent dans les feuilles, qui les calme, les apaise. Après il y a mon physique – au début, ils adoraient mon nez ! – et puis le fait que je sois plutôt timide et réservée… » Une personnalité et une musique qui auront fait vendre 4 millions de disques sur l’archipel nippon.
Autre phénomène, parmi d'autres, qui a pris son essor depuis la fin des années 2000 : la chanteuse Zaz. Elle fait plus de la moitié de ses concerts à l’étranger. Les publics, selon les pays, la baptisent de noms différents : « On se ressemble, je pense, il y a quelque chose qu’ils reconnaissent, et c’est bien » dit-elle pour C à vous, « On m’a demandé d’aller en Bulgarie. Je sors de l’hôtel : mille personnes nous attendaient ! Et je me produis sur scène : le public chante tout par cœur ! C’est juste dingue… »
Une majorité d’artistes femmes
Et, nouvelle singularité entre toutes celles que souligne Bertrand Dicale, le commissaire de l’exposition, par ailleurs journaliste musical, spécialiste de la chanson française : « les artistes francophones qui réussissent à l’étranger sont très majoritairement des femmes » confie-t-il à l’hebdo le 1. Toujours une question de regards échangés et d’images difractées : « …une projection de toutes les Françaises, rebelles, libertaires, dociles, scandaleuses, objets érotiques, objets anti-érotiques, incarnant la liberté sexuelle comme incarnant la docilité, en un portrait complexe ».
Pour Bertrand Dicale, l’image dans le regard des autres révèle aussi quelque chose de vrai. Évoquons bien sûr Aya Nakamura : « Que voit-on d’elle à l’étranger ? (…) Une Marie-Antoinette noire », qui « appartient à une tradition de femmes libres (…) : Coco Chanel, Juliette Gréco, Brigitte Bardot, Françoise Hardy… Aya Nakamura est contestée, et c’est pour cette raison qu’elle exprime une très haute francité. (…) » Certains « ne voient pas, hélas, à quel point elle peut exalter des valeurs éminemment françaises – l’irrévérence, le féminisme, la modernité, l’élégance. »
À la poursuite des chansons qui courent les rues du monde entier
Sous quelles formes circule la culture francophone à l’étranger ? L’exposition prend cette question à bras le corps, sous l’angle de la chanson.
Elle propose au déambulateur cinq espaces d’ambiances et de caractères différents, qu’il pourra éprouver successivement : personnalités, icônes, chansons phares, objets rares (costumes, instruments de musique, manuscrits, disques d’or…), bandes sonores, vidéos et nombreux dispositifs de médiation.
D’abord, « le cabaret » : élégance, haute couture, séduction, poésie, onirisme, rive gauche, etc. Ensuite, « la rue » : le chant et la liberté, les combats et les résistances, de La Marseillaise au Déserteur en passant par la magnifique Joséphine Baker. Puis « le music-hall », d’Édith Piaf à Céline Dion (la chanson populaire, romantique, enflammée…), ensuite « le club » et les étoiles francophones de la musique pop au milieu de l’essor formidable et hégémonique de la chanson anglo-saxonne jusqu’à nos jours (de Françoise Hardy à Stromae en passant par les Négresses vertes…), enfin « le dancing », où la chanson se fait flux qui traverse les corps par l’expression dansée du sentiment, de la sensualité, de la jubilation (du raz-de-marée mondial du zouk de Kassav’ au parfum de scandale Gainsbourg/Birkin, en passant par les slows d’Adamo…)
À signaler : une programmation culturelle autour de l’exposition, dont un concert-événement gratuit le samedi 5 octobre en partenariat avec les Francofolies de la Rochelle, dans le cadre du XIXe sommet de la Francophonie.
La maison de la langue française dans le monde
La Cité internationale de la langue française a ouvert ses portes en novembre 2023 au cœur du château de Villers-Cotterêts dans l’Aisne, entièrement restauré. Là même où François Ier signa un de ses actes les plus fameux : l’ordonnance de Villers-Cotterêts, par laquelle le français devint la langue officielle du droit et de l’administration, là aussi où Molière joua son Tartuffe censuré à Paris, là où vécut Alexandre Dumas…
Lieu culturel entièrement dédié à la langue française et aux cultures francophones, la Cité a pour ambition de partager et faire aimer au plus grand nombre une langue vivante, réinventée par tous ceux qui la pratiquent dans le monde.
Son parcours de visite de 1200 m², sa riche programmation culturelle déployée dans des salles d’exposition temporaire, une salle de spectacle, des cours et un jardin, son café, sa librairie, les espaces partagés pour des activités associatives et des ateliers d’artistes… font de la Cité un lieu de vie pluridisciplinaire, local et international, ouvert à toutes et tous, au cœur d’un écrin de verdure unique, la forêt de Retz
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