Café "Chez Narcisse" - Val d'Ajol
Sitôt quittée la nationale 57, qui file vers Besançon, par la sortie « Le Val d’Ajol », on bascule dans un paysage de sapins gigantesques sur des dénivelés imposants.
Quelques encablures de routes en contrebas, à travers les rues d’un village rénové, avec ses rues pavées autour de la mairie et de l’église, on arrive Chez Narcisse.
Le bar est né en 1897, comme en témoigne la date inscrite au fronton de la maison couleur citron et vermillon. Le bar accompagnait les diverses activités de la partie arrière, jusqu’à une salle de concerts aménagée en 1986. Chez Narcisse est depuis lors un lieu de vie musicale incontournable de la région, sans qu’une subvention l’accompagne (d’où la nécessité d’une activité limonadière conséquente...).
Et tout se déroule sous le profil goguenard du grand-père de Victor Grosjean : Narcisse y arbore une crête iroquois, « en référence au libérateur américain et pas au punk », comme tient à le préciser le descendant jeune et joyeux de cette lignée farceuse.
Le laboratoire "Punk is not dead" (PIND)
Ce n’est donc pas un hasard si pour sa 19e journée d’étude (en 3 ans seulement), le tout jeune laboratoire impertinent PIND (acronyme de « Punk is not dead »), issu du vénérable CNRS, y a installé ses quartiers pour étudier la situation du punk en Lorraine.
Punk is not dead répand cette bonne nouvelle au gré de rencontres absolument scientifiques et bon enfant dans toute la France, grâce à deux chercheurs : Solveig Serre, qui s’est penchée avec passion sur cet enfant turbulent, en mettant entre parenthèses musique baroque et opéra, et Luc Robène, dont la carrière universitaire à Bordeaux s’est construite en parallèle à une activité musicale toujours forte. Ils inventent ce laboratoire qu’ils portent avec une implication courageuse malgré les grommellements excédés des véritables tenants de la pensée universitaire française.
Punk is not dead réunit des chercheurs et des passionnés qui récoltent et analysent. L’opération est jubilatoire. Car partout dans l’hexagone, et contrairement à ce qu’ont arbitrairement déclaré les anglo-saxons, pour qui il ne s’est rien passé en France, la jeunesse s’est un jour exprimée et s’exprime encore par ce biais, qui a pris des formes très variées localement.
Audrey Tuaillon Demésy, de l’Université de Besançon, et Laurent Grün, de l’Université de Lorraine, ont été les relais de la réalisation de cette journée sur place. Les interventions sont entièrement enregistrées par le couple toulousain de Radio FMR (à retrouver sur le site du PIND, voir ci-contre).
Le punk en France (1976-2016)
On fait d’abord le point de la situation globale du punk en France de 1976 à 2016, sorte de décor planté par le duo Serre-Robène. Ils s’inquiètent de la fragilité de toute cette histoire, annoncent que si l’on n’y prend pas garde, rien ne subsistera de ce qui fut, s’interrogeant au passage sur les risques de récupération si faciles dans un univers où tout fait feu de tout bois.
Ils rappellent que tout naît au festival de Mont-de-Marsan, en deux éditions seulement en 1976 (1500 personnes) et 1977 (3000 personnes) : on considère que c’est le premier festival punk au monde. S’y croisent tous les genres et toutes les attitudes. Le sabordage des Sex Pistols, en 1978, sonne le glas de ce punk première mouture, suivant l’esprit de finitude si caractéristique du no future. Les années 1980 voient la naissance de groupes emblématiques comme Strychnine, Beruriers Noirs, Camera Silens... et du look punk. La 3e vague s’affirme depuis peu, qui elle s’interroge sur le futur : on est donc passé au yes future…
Le punk démontre ainsi qu’il a une capacité à se régénérer, à se réinventer, et on voit toute la journée que c’est aussi le cas musicalement. Il fallait globalement casser une image ancrée dans l’imaginaire collectif : le punk à chien, délinquant et bon à rien. Il semblait nécessaire de faire témoigner, puisque l’humain, et peut-être plus encore l’humain punk, est fragile. Il était donc vraiment temps de mener ce travail de recherche.
Le punk en lorraine
Le premier groupe d’intervenants construit le décor lorrain : où l’on examine avec Audrey Tuaillon Demésy la spécificité de lieux similaires à Chez
Narcisse : l’esprit festif y est prédominant, tout comme l’enfantin qui règne en maître dans l’esprit de groupes et de publics rêvant une jeunesse éternelle face au spleen désespéré de l’ennui et de la mort. Le terme DIY (« do it yourself ») apparaît là et ne quitte plus les débats.
Où l’on apprend avec Pierre Raboud (Université de Tours), grâce à une étude du fanzine Kérozène (ces quelques pages ronéotypées sur du mauvais papier qui ont fait les grandes heures de l’underground français) que contrairement au reste de la France et malgré la proximité des frontières suisses et allemandes, où cette culture est forte et bien structurée, le punk du nord-est n’est pas attiré par une mythologie allemande pro-nazi, bien au contraire, et que l’on y est proche de l’esprit anglo-saxon, à l’ombre des crises de l’industrie minière et du malaise social qui en découle.
Où l’on apprend avec Jérémie Maire (journaliste) combien les scènes messines et nancéiennes ont, chacune à leur manière, contribué à enrichir la musique punk, y compris grâce à des labels et des disquaires très inventifs.
La table ronde permet d’écouter les souvenirs des gens qui ont vécu et ceux qui vivent encore, à Metz et dans les Vosges, la présence punk. Sont évoqués le Club 33 à Metz, en passant par Grosse Catastrophe, l’Entracte 2 de Saint-Dié, utilisé par Furax, Les Thénardier d’Eric Closson, et la mémoire de Schultz, originaire de Thionville.
L’après-midi, Fabien Heim (Université de Lorraine) évoque les récents mouvements nés du DIY, une dimension entrepreneuriale que semblent partager tous les punks. C’est l’authenticité qui est le moteur de cette scène (« ou plutôt de ces scènes », comme le précise Luc Robène) : est qualifié par les punks d’authentique celui qui fait les choses par ses propres moyens. Le véganisme, par la brèche anglo-saxonne, souvent plus politique que musicale, fait une entrée triomphante dans le punk, ce qui fait frémir d’indignation dans l’assemblée. Où est la musique ?
Le cas des Nancéiens de Kas Product réconcilie grâce au regard porté par Philippe Gonin (Université de Bourgogne), qui qualifie le groupe de « plus punk que Marquis de Sade et les Dogs à la même époque ». Il les a interrogés et s’arrête au passage sur les synthétiseurs utilisés par Dansz Spatsz, dont Jean-Eric Perrin explique « qu’ils faisaient avec des synthés ce que les autres faisaient avec des guitares ». Dans le premier album, on trouve le Korg 770S, ainsi que d’autres modèles, monophoniques ou duophoniques, non programmables, ce qui nécessitait 6 ou 7 synthés sur scène. Dès le 2e album apparaît le Roland TR808. Mona Soyoc quant à elle a acheté sa guitare (« dont elle a oublié la marque ») au supermarché. Elle branchait selon ses propres mots « une guitare pourrie dans un ampli pourri ». En quelques albums, tenacement accompagnés par Gérard N’Guyen et Jean-Eric Perrin, le couple nancéien continue d’inspirer bien au-delà des terres lorraines.
Une grande partie de ces évocations est fortement teintée de nostalgie.
L’après-midi se poursuit, riche de connaissance, de réflexions et parfois d’oppositions.
Une autre bonne récolte pour les PIND. L’ensemble des débats est à retrouver sur leur site (voir ci-contre).
Texte : FF
Photographies : DRAC Grand Est
Partager la page