Depuis que je suis rue de Valois, depuis presque un an jour pour jour, il m’a été
donné plusieurs fois l’occasion de rendre hommage à un petit bouquet de talents
choisis parmi les personnalités du monde des arts et de la culture. Eh bien,
aujourd’hui, pour la première fois, je suis un peu troublé. Non seulement par le talent
hors pair des personnalités que je vais avoir le plaisir et l’honneur de gratifier d’une
décoration républicaine, mais aussi pour une autre raison. C’est que je ne sais pas
exactement à combien de personnes je dois rendre hommage aujourd’hui… Je sais
qu’il y a au moins trois femmes remarquables, et puis aussi une cohorte de femmes
et d’hommes innombrables, un nombre incalculable de visages et de voix, qui se
cachent derrière une seule personne, les mille et un avatars de « VÉGA », qui est
peut-être, si j’ai bien compris, une sorte de dieu hindou capable de se
métamorphoser à l’infini… Commençons d’abord par le plus simple : ces trois
femmes qui représentent aussi des facettes profondes et multiples de la féminité.
J’espère trouver d’ici là une solution pour ne pas avoir à rendre hommage à
chacune des incarnations du dieu VÉGA, et éviter ainsi de vous entraîner dans un
long voyage au bout de la nuit, alors que vous avez tous envie, j’imagine, de profiter
de la Fête du Cinéma…
Chère Bulle OGIER,
« Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu… »
Si j’ai choisi de commencer par ces vers si évocateurs du grand poète Yves
BONNEFOY, c’est parce qu’il y a en vous, à mon sens, quelque chose de
paradoxal.
Vous êtes la fois lumineuse et, en même temps, vous utilisez votre lumière pour
éclairer les abîmes de l’âme humaine, que vous avez seule le talent et l’audace de
nous montrer au miroir de votre sensibilité et de votre grâce.
Vous êtes aussi paradoxale parce que vous êtes à la fois une présence idéale de
beauté et de charme, et qu’en même temps vous savez vous montrer proche de
chacun. Vous savez abolir la timidité que provoque souvent la beauté en suscitant
chez les spectateurs une connivence naturelle qui fait de vous une sorte de soeur
espiègle et chaleureuse, quoique toujours insaisissable.
Quand je dis « la soeur », je ne parle pas seulement, bien sûr, de cette figure
étrange et inoubliable de la soeur de Delphine SEYRIG qui vient déranger les lignes
de l’univers bourgeois merveilleusement satirisé par BUNUEL… Je veux exprimer
cette présence familière que porte en elle chacune de vos apparitions, au cinéma
comme au théâtre. Je pense, par exemple, à cette savoureuse « Salamandre »,
avec son aspect de cendrillon moderne et décalée, un rôle qui vous a révélée dans
toute l’étendue de vos possibles.Je pense aussi à la diva hystérique de Mon cas – nous retrouverons, je
crois, chez Claude VÉGA, d’autres divas hystériques tout à l’heure –, je
pense à la routarde claustrophobe du Pont du Nord, à tant de rôles
auxquels vous avez conféré les mystères de votre « obscure clarté ».
Au fond, c’était cela peut-être, la « Nouvelle Vague », éclairer la « part
d’ombre » de chacun, au lieu de jouer le jeu d’un cinéma saturé de
lumières crues qui écrasent l’humanité sous la production de grands
mythes interchangeables. Et au fond, vous avez été la vraie égérie de
cette « Nouvelle Vague » incarnée notamment par RIVETTE, qui vous a si
souvent fait confiance non seulement sous l’oeil de sa caméra, mais aussi
pour l’écriture de ses films. Vraie égérie, parce que restée discrète, ne
cédant pas à une nouvelle forme de système, et toujours à l’affût des
découvertes de l’âme humaine que permet ce cinéma d’auteur auquel
vous êtes, comme moi et comme tant d’autres ici, viscéralement
attachée.
La même exigence d’humanité et de profondeur vous attache aux feux de
la rampe, où se donnent à voir bien des choses invisibles, en particulier
chez Marguerite DURAS que vous avez servie avec fidélité, notamment
dans Savannah Bay aux côtés de la grande Madeleine RENAUD. Vous
avez servi les plus grands auteurs, les SCHNITZLER et les Botho
STRAUSS, mais aussi, bien sûr, les plus grands metteurs en scène, Luc
BONDY ou encore Claude REGY qui parlait de vous comme d’« une
transparence avec un centre de gravité très fort ». RIVETTE ne s’y est
pas trompé non plus, qui a fait de vous, dans la Bande des quatre, une
professeure de théâtre véritablement magistrale.
Vous continuez à insuffler dans le cinéma d’aujourd’hui ce « charme
discret » de votre Nouvelle Vague. Je pense à ce rôle mémorable dans
Vénus beauté (institut) où vous incarnez avec une ironie souveraine et
subtile ce que j’appellerais le pédantisme cosmétique.
Vous avez fait le choix de privilégier la création, quitte à dénoncer, dès
vos débuts avec MARC’O, « Les Idoles » du show-biz, mettant ainsi
l’accent sur les rencontres magiques, dans plus de quatre-vingt films,
avec les plus grands poètes du septième art européen : je pense, outre
Jacques RIVETTE, à Claude LELOUCH, à André TECHINÉ qui vous a
confié son premier opus, à Jacques AUDIARD, mais aussi à Werner
SCHROETER récemment disparu hélas, à FASSBINDER, à BUÑUEL que
j’évoquais, à Raoul RUIZ ou encore Manoel de OLIVEIRA, sans oublier
bien sûr l’homme qui vous accompagne à la vie comme à la scène, Barbet
SCHROEDER.
C’est pour tous ces cadeaux que vous nous faites, parce que vous êtes
une artiste diaphane mais lumineuse, à la fois anti-star et étoile, qui a pour
toujours enrichi notre image de la femme, que j’ai le très grand honneur,
chère Bulle OGIER, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui me sont conférés, de vous faire Officier dans l’ordre de la
Légion d’honneur.
Je me tourne à présent vers « la seule Blanche qui chante avec une voix
de Noire », vers cette « voix chaude et ronde » qu’évoquait le grand Ray
CHARLES, et dont chacun connaît et garde au plus profond de lui-même,
les superbes inflexions et les inoubliables mélodies.
Chère NICOLETTA,
Il y a un paradoxe aussi dans votre talent – car le talent est toujours
paradoxe, il sait toujours concilier et réunir ce qui, à l’oeil nu du profane,
paraîtrait contradictoire ou éloigné.
Ce paradoxe, c’est, je crois, d’unir le plus profond des cris humains et une
présence sur scène la plus réelle, la plus tangible. C’est, en un sens, de
rassembler les puissances sensibles du corps et les mystères lointains de
l’âme.
Tous ceux qui vous ont élue, plébiscitée, le public bien sûr, innombrable
en France et dans le monde, mais aussi les plus grands artistes qui vous
ont adoptée et adoubée avec passion, tous ceux que vous avez appelés,
je crois, vos « anges gardiens », de Jacques BREL à Léo FERRÉ, en
passant par Gilbert BÉCAUD et Johnny HALLYDAY – tous ont été
sensibles à ce composé étonnant, presque détonnant, entre cette
présence charnelle et cette force profonde des émotions.
« Fanal dans la nuit », vous « chantez avec votre corps », disait Jean-
Claude BRIALY, et en même temps cette « voix brisée se plante dans le
coeur », disait-il, « de ceux qui croient à l’amour ». Charles AZNAVOUR
retrouve à peu près les mêmes termes, en tout cas les mêmes thèmes,
dans un très beau poème qu’il vous consacre : « Elle a la voix des mots
du coeur, des angoisses du corps, la voix de la véhémence du bonheur »,
et il ajoute : « elle est le réalisme de sa génération ».
Cette dernière expression d’AZNAVOUR me semble parfaitement définir
votre apport. Avec vous, la chanteuse est véritablement incarnée. Elle
s’impose à nous par la puissance d’une voix qui vient indissociablement
du corps et de l’âme, et le succès obsédant de Mammy Blue (plus de 150
versions !) en est l’illustration par excellence.
Votre apparition a été d’autant plus fulgurante que vous avez su donner
corps à nos émotions profondes dans une époque encore prudente,
parfois timide, pour ne dire pusillanime. Et vous avez l’une des grandes
voix de cette jeunesse du baby boom avide d’émotions nouvelles, à la fois
fidèle à la grande tradition de la chanson française et ouverte au vent du
large qui soufflait de l’autre côté de l’Atlantique. Vous avez exploré les
territoires encore méconnus du jazz, du blues, du gospel, et inventé une
émotion française qui retrouve ce que la musique afro-américaine, encore
un peu marginale alors, peut avoir de plus fort et de plus intense. Vous
répondiez ainsi aux aspirations de toute une génération qui se libérait et
qui sentait que les grandes émotions ne pouvaient plus être désincarnées.
Mais vous touchez toutes les générations – je pense notamment à la
reprise récente et significative de « La Musique » par les héros de la
première « Star-Ac ». Vous avez su trouver le chemin du coeur de
centaines de milliers, que dis-je de millions de personnes, car vous portez
un message universel, et vous avez su donnez des lettres de noblesse à
une musique populaire d’ici et d’ailleurs, comme vous l’avez fait encore en
lançant la vogue, ininterrompue depuis, de la musique brésilienne avec
« Fio Maravilla » dans les années 1970.
Votre carrière est à l’image de votre vie, ce « manège qui ne cessera
jamais de tourner ». Vous en avez célébré l’an dernier, à l’Alhambra, les
quarante ans, quarante années de passion, de succès et de rencontres
avec le public. Non, « il n’est pas mort, le soleil » !...
En quarante ans, de l’époque BARCLAY à votre émancipation comme
productrice, de vos albums à vos tournées, en passant par vos
interprétations épiphaniques comme le Glory Alléluia – retransmis pour la
première fois en 1976 à la radio, lors de la Messe de Minuit –, vous avez
instauré non seulement un échange profond et durable avec chacun, mais
aussi des « Connivences » et, plus que cela : de réelles communions. Tel
est l’esprit du gospel, mais aussi de l’opéra. Après avoir interprété
Esméralda dans Quasimodo, la fameuse comédie musicale composée par
votre ami William SHELLER, vous avez eu à coeur de servir le meilleur du
théâtre musical de BRECHT et de Kurt WEILL, en tenant le rôle-phare de
Grandeur et décadence de la ville de Mahagony.
Si vous réunissez le sacré et le profane, c’est sans doute en vertu d’une
immense générosité, qui trouve son point d’orgue – ou sa clé de voûte –
dans votre engagement. Je me souviens par exemple du gala donné
contre la peine de mort au Palais des Sports, avec FERRÉ, BRASSENS,
NOUGARO et d’autres, quelques années avant qu’un certain Président de
la République ne l’abolisse… Je pense aussi à votre participation active
dans les concerts pour l’association « Les Voix de l’espoir » : là aussi,
vous « donnez de la voix » littéralement, pour venir en aide aux enfants du
Tiers-Monde.
Et bien c’est pour la générosité inhérente à votre talent, qui nous
accompagne tous les jours depuis un peu plus de quarante ans, que j’ai
l’immense plaisir, chère NICOLETTA, au nom de la République française,
de vous faire Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Maria SCHNEIDER,
Vous incarnez, vous aussi, une facette de la femme moderne et de sa
liberté. Vous êtes une actrice audacieuse, capable de jouer tous les rôles,
y compris le sien même : c’est ainsi que l’on croit vous découvrir telle que
vous êtes, ou bien plutôt telle que le cinéma vous fait être dans la mise en
abyme subtile qu’a réalisée Bertrand BLIER il y a tout juste dix ans, dans
Les Acteurs, où vous côtoyez de nombreuses autres « étoiles » du
septième art français.
Pourtant, c’est avant tout grâce à des productions internationales que
vous avez surgi dans le paysage cinématographique et dans le coeur de
chacun. À tout juste vingt ans, Le Dernier Tango à Paris fut pour vous la
première valse dans ce monde brillant, trop brillant peut-être, fait de
mystères et d’apparences. Aux côtés du grand Marlon BRANDO, vous
avez « osé » transgresser les convenances de l’époque, et cela vous a
valu une nomination aux Oscars, en même temps que toutes les avanies
et tous les succès qui s’attachent toujours au scandale et à cette avance
que l’art et les artistes savent si souvent prendre sur le public de leur
temps…
Artiste exponentielle, vous côtoyez les plus grandes légendes du cinéma,
réalisateurs comme BERTOLUCCI, donc, ou encore ANTONIONI dans
Profession : reporter, mais aussi, à l’instar de Bulle OGIER, les RIVETTE,
GARREL, SCHROETER ou FASSBINDER. Vous partagez l’affiche avec
Jack NICHOLSON et tant d’autres géants.
En tout, pas moins d’une cinquantaine de films, en à peine quarante ans.
C’est cette pérennité remarquable qui vous a valu d’être à l’honneur, en
2001 à Créteil, au Festival International du Film de Femmes. Nombreuses
sont vos apparitions, tant au cinéma qu’à la télévision, qui ont marqué les
esprits et touché un large public, comme dans Les Nuits fauves, en 1992,
dont le succès a été véritablement extraordinaire.
Toujours libre, vous n’avez pas hésité à refuser des propositions quand
elles vous enfermaient dans la catégorie des « Lolita », ou lorsque vous
ne vous sentiez pas à l’aise avec des auteurs, aussi prestigieux soient-ils,
tels que Luis BUÑUEL ou Joseph LOSEY. C’est ainsi, vous le saviez, que
l’on dépasse les intérêts de la carrière pour dessiner une authentique
personnalité d’artiste.
Toujours audacieuse, vous avez incarné des rôles empreints d’une
spontanéité rayonnante, d’une vitalité explosive comme dans Le Dernier
Tango que j’évoquais, ou dans le rôle de cette prostituée de La Dérobade,
de Daniel DUVAL.
Vous aussi, vous avez été, comme chacune des artistes que j’ai le plaisir
d’honorer aujourd’hui, une icône singulière de la femme d’aujourd’hui.
Votre présence, votre voix éraillée et sensuelle, qui semble exprimer à
merveille les puissances de la révolte, ont fait de vous un modèle
d’émancipation pour plus d’une génération. C’est cela aussi, je crois, le
sens du cinéma, de mettre devant nos yeux les images de nos possibles,
de nous tendre la main pour nous aider à devenir nous-mêmes. Et vous
avez su, plus qu’une autre, incarner l’un de ces relais vivants et tangibles
de notre liberté, et surtout de celle des femmes, à une époque
d’exploration et de conquête.
A cette esquisse fort imparfaite de votre personnalité, j’ajouterais en effet,
pour finir, l’engagement : non seulement parce que vous donnez corps,
sur les écrans, à la Femme insoumise, comme je le suggérais il y a
quelques instants, mais aussi parce que vous êtes solidaire avec votre
profession, ainsi que l’atteste votre investissement dans l’association « La
Roue tourne » créée il y a un peu plus d’un demi-siècle, en 1957, en
faveur des anciens artistes que la fortune a éclipsés… C’est d’ailleurs,
vous le savez, une cause qui m’est particulièrement chère et à laquelle j’ai
souhaité apporter mon plein soutien en participant au Gala de l’Union des
artistes qui s’est tenu récemment à Paris, au Cirque d’Hiver.
Pour l’ensemble de votre parcours et pour vos combats, pour votre
charme et les émotions que vous suscitez dans le coeur de chacun des
spectateurs, j’ai le très grand plaisir, chère Maria SCHNEIDER, au nom de
la République française, de vous faire Chevalier dans l’ordre des Arts et
des Lettres.
Je me tourne à présent vers l’énigme du jour, l’homme aux mille et un
visage, celui qui risque d’ajouter des myriades de personnes à distinguer,
le premier des caméléons, mon cher ami Claude VÉGA…
Ce qui me frappe d’abord, et qu’on remarque moins d’habitude, c’est non
seulement votre capacité de transformation, mais aussi, entre chacun de
vos incarnations, cet air absent voire absurde de clown absolu, qui semble
pleinement absorbé dans l’observation de nos semblables dont il offrira
ensuite une restitution et une recréation parfaite.
Ces yeux à la fois rieurs et comme en attente et en suspension que vous
présentez au public, sont comme un miroir de toutes les personnalités
possibles qu’il incarne, et que vous saurez, vous aussi, faire vôtre, par la
magie d’un talent rare. Vous êtes ainsi, dans l’intervalle du mimétisme,
dans une attente joviale de la transe et de la transformation. Ce
personnage en retrait, qui est comme une basse continue de vos
incarnations entre lesquelles il fait le lien et le liant, porte quelque chose
de la tradition élisabéthaine, shakespearienne, des bouffons sublimes. De
ceux qui font que le rire n’est pas simple moquerie, mais une autre
dimension, un regard sur le monde, avec toute la tendresse qui peut
l’accompagner.
Car vous n’êtes pas un « imitateur » au sens où vous vous contenteriez
de reproduire les tics et les mimiques, ni un satiriste au sens où vous
voudriez égratigner vos « proies ». Vous agissez plutôt comme un miroir,
transformant plus que déformant, et qui relève et révèle les
caractéristiques singulières et nous les donne à voir sans animosité. Vous
étendez d’ailleurs les droits imprescriptibles du rire et du regard comique
aux plus grands, en refusant toujours de les rabaisser par le sarcasme. Et
vos « modèles » – car ce ne sont pas des « cibles » – vous en savent gré.
Personne ne peut oublier les éclats de rire de la CALLAS vous regardant
jouer les divas égarées et les Médées éperdues et vous écoutant
vocaliser follement. En un sens, vous réconciliez les artistes avec cette
ombre du ridicule qui ne tue pas, mais que vous savez rendre plus
inoffensif encore, presque jusqu’à la douceur et à l’hommage. Dans un
autre registre, je me souviens du sourire de Jacques DUTRONC devant
votre prestation sautillante et hilarante sur le thème de « Papa s’éveille ».
Après vos imitations légendaires, nous avons mieux compris, et peut-être
aimé encore davantage, BARBARA, Juliette GRECO, Nana
MOUSKOURI, Louis de FUNÈS, Annie GIRARDOT, Yves MONTAND et
tant d’autres qu’heureusement je n’ai pas à décorer aujourd’hui puisqu’il
me suffit, pour accéder à ces légions de grands talents, de vous avoir en
face de moi.
Vous avez ouvert la voie en montrant que la bonne parodie exige le
respect pour le modèle, car comme vous le dites vous-mêmes, « on ne
peut bien parodier que ceux que l’on aime ».
Car chez vous, l’imitation n’a pas la prétention ou la violence de se
substituer en usurpatrice à ses modèles. Elle se trouve justement, comme
vous sur scène, à leurs côtés, en regard et en miroir donc, pour en alléger
certains traits, plutôt que pour les souligner.
Père des imitateurs, votre virtuosité espiègle a fait école, et vous pouvez
en être fier. Vous vous êtes multiplié aussi sur les scènes, cher Claude
VÉGA : cabaret, théâtre, cinéma, livre et CD d’imitations paru il y a deux
ans, plateaux de télévision bien sûr… – je me souviens tout
particulièrement de vos passages-éclairs dans Permission de minuit que
j’animais alors.
Des planches du Liberty’s où vous confériez aux animaux des Fables de
LA FONTAINE les voix d’acteurs célèbres, jusqu’aux deux personnages
antinomiques que vous avez su incarner dans Drôle de goûter d’après
Boris VIAN (à tour de rôle : un général chinois et une mère acariâtre), en
passant par les Numéros 1 des CARPENTIER, vous avez enchanté le
public par cette présence bienveillante, et proprement « inimitable »…
Dans les années 1960 se succèdent aussi vos apparitions remarquées au
cinéma : je pense notamment à Paris-Music-Hall, ou encore à Domicile
conjugal, aux côtés de votre camarade et ami François TRUFFAUT.
Parallèlement, vous accompagnez de grandes vedettes en concert, telles
que TRENET, PIAF, Joséphine BAKER, et tant d’autres complices et
compagnons de route…
C’est pour tout ce parcours d’un PROTÉE généreux et pionner, que j’ai
l’immense plaisir, cher Claude VÉGA, au nom de la République française,
de vous faire Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.