En 1994, un jeune homme et un politicien discutent de l’avenir de l’Estonie.
« Juste après, on aborda la politique et les projets d'intégration de l'Estonie
dans l'Union européenne. Eerik y voyait des accords et des contrats,
August voyait Dante, Shakespeare et Schiller. Aucun des deux ne voyait
les normes alimentaires, la pasteurisation du lait, les croissants à l'huile
sous emballage plastique, ni les passeports à empreinte digitale
incorporée. Ils voulaient à tout prix être européens, échapper à la vieille
barbarie asiatique, lui préférant la barbarie européenne dont ils n'avaient
pas encore eu à pâtir, ou si peu. » Ces lignes sont de Katrina Kalda,
brillante et jeune auteur estonienne installée en France, tirées de son
Roman estonien. Je crois que l’occasion qui nous réunit ce soir vient
précisément démentir les propos désabusés du narrateur de Katrina Kalda.
Les saisons culturelles sont là pour nous rappeler la réalité de l’Europe de
la culture, qui ne sera jamais soluble dans la froideur des normes.
Je suis en effet très heureux de vous accueillir ce soir rue de Valois pour
célébrer ensemble le lancement du festival « Estonie tonique », qui
démarre aujourd’hui même, et se prolongera jusqu'au 17 décembre
prochain. Je souhaite tout particulièrement la bienvenue à tous ceux qui
viennent spécialement d'Estonie pour participer à cet événement, et en
particulier aux artistes du Choeur national d'hommes de Tallinn, qui
donneront deux concerts dans le cadre du festival d'Île-de-France, et qui
vont en avant-première nous donner le privilège d'interpréter deux courts
morceaux après ces quelques mots.
Ce festival est incontestablement placé sous le signe de l'Europe, y
compris depuis son origine. Ce n'est paradoxalement ni à Paris, ni à
Tallinn, mais à Barcelone que nous avons pris ensemble, avec
enthousiasme et détermination, la décision de donner concrètement
naissance à un festival estonien, lors d'une rencontre, Monsieur le Ministre,
avec votre prédécesseur, Madame Laine Jänes, en marge de la réunion
informelle des ministres de la Culture de l'Union européenne, en Mars
2010.
Signal fort pour l’Europe de la culture aussi, car, comme vous l'avez
rappelé, ce festival s'inscrit étroitement en lien avec Tallinn, Capitale
européenne de la Culture cette année.
Signal fort pour l’Europe, enfin, car il est une nouvelle marque de la volonté
affirmée de votre pays, depuis la restauration de son indépendance il y a
20 ans, de partager une identité et un devenir européens communs, en
cette année où votre pays n’a pas hésiter à adopter l'Euro pour monnaie.
Je ne reviendrai pas sur le détail de la très riche programmation qui va
être proposée au public, et qui témoigne de la formidable vitalité et de la
créativité culturelle de votre pays. Je me réjouis que la cinquantaine
d'événements programmés concerne l’ensemble des domaines de la
culture, de la musique au cinéma, du théâtre aux arts visuels et
numériques, de l'architecture à la littérature.
Ce festival témoigne en tout premier lieu de l'exceptionnelle affinité entre
votre pays et la musique ; toutes les musiques, de la plus traditionnelle,
comme celle du peuple seto présentée à la Maison des cultures du Monde,
à la plus branchée et la plus innovante, telle que la performance numérique
qui se tiendra au Cube à Issy-les-Moulineaux, ou les performances
prévues au Mama, au Point éphémère ou au festival Jazzy Color. C’est
cette affinité, cette relation spéciale à la musique, qui a valu aux Estoniens
le surnom de « peuple chantant » ; en Estonie, c’est en chantant qu’on fait
la révolution.
Il n’est donc guère surprenant que la musique contemporaine soit
également un domaine dans lequel l’Estonie excelle ; et en la matière je
me réjouis de l'hommage particulier qui sera rendu lors de plusieurs
concerts à votre très célèbre compositeur, Arvo Pärt, dans des lieux aussi
variés que l’église Saint-Eustache, le 104 ou le temple de l’Oratoire. Non
seulement les mélomanes, mais aussi les cinéastes et le public du cinéma
le connaissent bien, pour avoir souvent emprunté ou entendu ses créations
musicales, des Amants du Pont-Neuf jusqu'à Habemus Papam.
Nos relations culturelles s’appuient sur des associations très fécondes dont
cette saisons est l’image, telles que le groupe franco-estonien « Rouge
Madame » qui se produira au Point Ephémère, la direction de l’Orchestre
de Paris désormais assurée par le chef estonien Paavo Järvi, ou encore
les ateliers prévus entre architectes dans les écoles supérieures
d'architecture de Belleville et Val-de-Seine. « Estonie Tonique » sera
l'occasion de multiplier les rencontres entre talents français et estoniens,
d'où jailliront de nouveaux élans créatifs.
Au-delà de la musique, je n'oublie pas que c'est tout un pays qui vient à la
rencontre des parisiens, symbolisé par l'arrivée aujourd'hui sur le canal
Saint-Martin, du bateau viking, emblématique de l'appartenance de votre
pays à l'espace nordique.
« Vabadus », le mot estonien pour « Liberté », est le titre de l'exposition qui
réunira au château d'Asnières, les oeuvres de certains des meilleurs
artistes contemporains estoniens. C’est aussi tout l’esprit de ce festival, et
de tous vos créateurs qui s’y sont impliqués. Le volet théâtral témoignera
de cet esprit de liberté, voire d’irrévérence, avec notamment la série de
représentations à l’Odéon - Théâtre de l’Europe de la pièce Comment
expliquer des tableaux à un lièvre mort. Le volet cinématographique de ce
festival, à la Cinémathèque, au festival d’Amiens, au Musée du Quai
Branly, ou au cinéma le Lincoln, nous donnera également un témoignage
de cette très grande créativité.
Pour terminer, je voudrais vous remercier, Monsieur le Ministre, et avec
vous l’ambassade d’Estonie en France et le monde culturel estonien, pour
ce magnifique aperçu de la culture estonienne, que vous nous donnez le
privilège de goûter et d'apprécier en cet automne 2011. Je tiens à
remercier aussi tous les opérateurs culturels français, nombreux ici ce soir,
en espérant que vous me pardonnerez de ne pas tous les citer, et qui ont
ainsi souhaité devenir partenaires de « Estonie tonique ».
Je voudrais enfin vous remercier, cher Xavier, et avec vous les équipes de
l'Institut français, qui se sont remarquablement mobilisées pour apporter à
cette saison toute la richesse, la diversité et l'impact qu'elle mérite.
Au final, ce festival aura atteint son but, s'il donne aux artistes, aux
architectes, aux écrivains estoniens qui vont se succéder à Paris pendant
deux mois, l'envie de revenir ici, de travailler et de créer avec leurs
homologues français, et à ceux-ci l'envie d'aller aussi à la rencontre des
créateurs estoniens chez eux, en Estonie. Je ne doute pas qu’il va
également donner au public le désir d'aller plus loin dans la connaissance
de la culture estonienne et de découvrir un pays que la France et l’Europe
portent dans leur coeur. C’est Karl Ristikivi qui écrivait : « nos racines ne
sont pas dans l'enfance, elles sont en chaque lieu où nous sommes passés
un jour ».
Tous mes voeux de succès à la saison estonienne. Soovin Eesti festivalile
kordaminekut ja edu!
Je vous remercie. Suur tänu!