C’est un très grand plaisir que de vous retrouver aujourd’hui à
l’occasion de cette 46e édition du Midem, que j’ai eu l’honneur
d’inaugurer il y a quelques instants, pour la troisième année
consécutive.
Je connais la diversité des rencontres, la richesse des échanges à
laquelle se prête ce formidable creuset, dont je salue la formule si
intelligemment renouvelée.
Ce rendez-vous qui fait référence sur le plan international était
l’enceinte tout désignée pour accueillir la signature d’un accord
historique pour la filière musicale, l’acte de naissance du Centre
national de la musique qui nous réunit aujourd’hui.
J’y reviendrai dans un instant, mais permettez-moi au préalable de
me réjouir avec vous des perspectives que nous laisse entrevoir la
croissance très sensible de la musique numérique, qui représente
désormais près de 25 % du marché, même si elle ne suffit pas
encore à compenser la baisse du marché physique.
Pour les pouvoirs publics, ces résultats pleins de promesses
apparaissent particulièrement encourageants ; ils montrent que nos
efforts résolus pour soutenir le renouveau de la filière musicale
portent leurs fruits.
De fait, les chantiers menés à bien en 2011 ont été nombreux et
très denses.
Alors que l’Hadopi vient de dresser un bilan positif de la mise en
oeuvre de la charte « 13 engagements pour la musique en ligne »,
signée il y a un an, je tiens ainsi à saluer la mobilisation collective
de la filière afin de disposer de services musicaux en ligne
innovants, fondés sur une diversité de modèles – des services qui
seront les moteurs, précisément, de la croissance du marché de la
musique et d’une meilleure rémunération des créateurs.
Nous connaissons les incertitudes propres à cette phase de
transformation des modèles économiques ; au moment où les
services de musique en ligne attirent une audience de plus en
nombreuse dans le public adulte, nous connaissons aussi la
difficulté qu’ils rencontrent pour conquérir les jeunes publics encore
très éloignés des offres légales, et pour lesquels la gratuité
demeure un réflexe bien ancré ; nous en faisons l’expérience avec
l’opération carte musique destinée aux 12-25 ans.
Ce front uni, dans l’intérêt général de la filière, pour le financement
durable de la création comme de la valeur de la musique sur
internet, a ouvert la voie au Centre national de la musique que
nous lançons aujourd’hui.
Au nombre des avancées importantes de l’année écoulée figure
par ailleurs le renforcement de la dotation de l’IFCIC, qui a porté la
taille du fonds à près de 20 millions d’euros, permettant notamment
d’apporter un soutien accru au développement de l’offre légale de
musique en ligne.
Le fonds voit ses capacités d’action doublement confortées : une
entreprise donnée pourra désormais prétendre à une avance
maximum de 1 500 000 euros, contre 800 000 euros
précédemment ; d’autre part, les éditeurs de services de musique
en ligne pourront accéder à des quasi-fonds propres sous forme
d’avances participatives bénéficiant de modalités de
remboursement mieux adaptées à leurs besoins.
À ce jour, le FAIM a octroyé 14 millions d’euros d’avances
remboursables en appui de 44 millions d’investissements réalisés
par 67 entreprises indépendantes de la filière musicale.
La compétitivité des acteurs de la musique numérique est
également un chantier prioritaire, à travers la recherche d’une
révision du cadre communautaire applicable en matière de TVA sur
les biens et services culturels en ligne. Le travail de conviction que
nous menons sous l’impulsion du président de la République et
avec l’appui de Jacques Toubon commence à porter ses fruits
auprès de la Commission européenne et de nos partenaires, mais il
est clair que la mobilisation, rendue plus difficile par le contexte
économique actuel, doit se poursuivre, afin de parvenir à terme à
l’application d’un taux réduit pour l’ensemble des biens et service
culturels - et notamment la musique.
À l’heure où les études les plus récentes nous confirment une fois
encore l’efficacité de la « réponse graduée », je tiens également, et
peut-être surtout, à saluer le travail remarquable de l’Hadopi et de
ses équipes si courageuses devant la mauvaise foi acharnée de
certains de ses adversaires.
Selon l’étude de la société Nielsen, la loi Hadopi a entraîné une
chute de 26% du piratage dans le cadre du peer-to-peer, près de
deux millions d'utilisateurs ayant cessé cette activité depuis l'envoi
des premiers avertissements en octobre 2010.
Les enquêtes montrent également que le piratage baisse plus en
France que dans les autres pays et que depuis l’entrée en vigueur
de l’Hadopi, les sites légaux comptent deux millions de visiteurs en
plus.
De fait, le dynamisme de l’offre légale de musique en ligne, et la
montée en puissance spectaculaire de certains sites n’est plus à
démontrer, je pense par exemple à Deezer, qui à travers son
partenariat avec Orange, compte près d’un million et demi
d’abonnés.
Je me réjouis également que l’Hadopi, dont la compétence
n’est limitée à aucune technologie particulière, se soit saisie de la
question des sites de « streaming » et de téléchargement direct de
contenus illégaux , qui sont très souvent - l’exemple récent de
Megaupload en est bien sûr l’exemple le plus saisissant - des
entreprises commerciales scandaleusement prospères. La Haute
Autorité prépare une expertise économique et technologique du
phénomène, ainsi qu’une évaluation des outils juridiques et
législatifs existants, en vue si nécessaire de proposer leur
adaptation afin de les rendre plus efficaces. Je souhaite que
chacun prenne ses responsabilités en ce domaine ; je pense
notamment aux intermédiaires qui commercent avec ces sites. À
l’image de la très ferme réponse des autorités judiciaires
américaines, je souhaite que 2012 marque la fin de l’impunité pour
les sites de streaming.
¨Parce que l’espace sans frontière de l'internet ne se satisfait
pas d'approches purement nationales qui, même lorsqu’elles sont
convergentes, restent trop fragmentées et se heurtent à des «
paradis numériques » non coopératifs, il est clair qu’une une
coopération européenne internationale renforcée est nécessaire,
notamment sur le plan judiciaire. C’est tout le sens de la dynamique
politique engagée avec succès par le président de la République
lors du sommet culturel d’Avignon 17 et 18 novembre consacré à
l’avenir de la création, en présence de 19 ministres de la culture et
de la propriété intellectuelle.
Qui peut douter dans ce contexte de la détermination du
gouvernement à promouvoir un internet responsable, de la
pertinence de l’approche portée avec constance par le président de
la République depuis les Accords de l’Elysée, combinant
pédagogie en matière de protection des droits d’auteur, fermeté
absolue à l’égard du piratage commercial, soutien résolu à l’essor
de l’offre légale, et défense de la rémunération de la création ?
Qui peut sérieusement contester le bien fondé d’une autorité de
régulation en matière de protection des droits d’auteur et de
promotion de l’offre légale sur internet ?
Car c’est bien l’une des avancées majeures de l’Hadopi que d’avoir
ancré pour longtemps la nécessité absolue d’une institution
régulatrice en ce domaine, à l’image de la régulation audiovisuelle
qu’incarne aujourd’hui le CSA.
Je m’étonne donc que certains - après il est vrai force palinodies,
flottements et contradictions - se fassent aujourd’hui les avocats
d’une réelle dérégulation en matière de protection des droits
élémentaires des créateurs, à contre courant de tant de pays
étrangers, parfois réputés très libéraux, qui s’inscrivent dans le droit
fil de l’approche française, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en
Espagne, en Corée...
Par delà les ambiguïtés savamment entretenues, je m’étonne de
cette remise en cause des fondements mêmes de l’écosystème de
la création.
Peut-on construire l’indispensable unité de la filière musicale en
niant les droits élémentaires des créateurs, le droit d’autoriser ou
d’interdire les exploitations principales de leurs oeuvres, et d’en
déterminer la juste rémunération ?
Peut-on prétendre promouvoir l’offre légale tout en légalisant le
piratage, ce qui signerait l’arrêt de mort des sites de musique en
ligne française, aujourd’hui en plein essor ?
La défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, et de
ceux qui prennent le risque de la création mérite des convictions,
des engagements clairs, elle mérite, pour ainsi dire, le courage de
la clarté.
Le gouvernement, pour sa part, n’a pas manqué de clarté dans ses
engagements tout au long de ce quinquennat.
Il n’a pas manqué non plus de réactivité, lorsqu’il a fallu, par une
intervention législative urgente que j’ai portée devant le Parlement,
prévenir l’effondrement du système de la copie privée à la fin de
l’année dernière, et sauvegarder ainsi un mécanisme si essentiel
pour la juste rémunération des auteurs, artistes-interprètes et
producteurs de la musique, et pour la vitalité de la création
artistique française.
Au nombre des engagements tenus en matière de rémunération
des créateurs, je compte également la hausse significative de la
rémunération équitable, de près de 30 % depuis 2007.
Conformément aux engagements pris ici même l’an dernier,
l’exposition de la diversité musicale dans les médias aura
également été marquée par de très intéressantes avancées.
Je pense bien sûr au nouveau contrat d'objectifs et de moyens de
France Télévisions, qui comporte des améliorations significatives
concernant l'exposition de la musique dans les programmes des
antennes du groupe, à travers notamment la création de
magazines dont au moins un d'une durée de 52 minutes, diffusé à
une heure de grande écoute, en accordant une place essentielle
aux jeunes artistes français, ou encore la promotion des nouveaux
talents dans les émissions de divertissement récurrentes de France
2 et de France 3 à forte audience consacrées à la musique.
Je pense également aux nouvelles mesures en faveur d'une
exposition accrue des chansons d'expression originale française
annoncées par le CSA, qu’il s’agisse de la modification des heures
d'écoute significatives ou de la prise en compte de seuls titres
musicaux dont la durée de diffusion sera d'au moins deux minutes.
Il est clair cependant que la question de l’exposition de la diversité
musicale dans les médias traditionnels mais aussi sur internet fait
partie des chantiers à approfondir au cours des prochains mois ; j’y
veillerai, sur la base bien sûr d’une observation fiable des
programmations musicales.
Les chantiers entrepris et menés à bien depuis un an ont donc été
nombreux ; toutefois, je ne me contenterai pas de ces réalisations,
pour essentielles qu’elles soient.
Je sais en effet quelle menace la crise sans précédent traversée
par le secteur fait peser sur la diversité de musicale et les
équilibres de l’ensemble de la filière.
Je sais qu’en dépit des dispositifs existants, la filière musicale, si
durement frappée sur le plan économique, reste aujourd’hui
l’industrie culturelle la moins soutenue par les pouvoirs publics.
Je sais aussi – car il nous faut regarder ensemble la vérité en face
– que les professionnels de la musique que vous êtes constituent
une filière historiquement morcelée, et qui n’a pas toujours su se
rassembler suffisamment sur ce qui fait l’intérêt commun de ses
différentes composantes.
Nous savons également à quel point les grandes entreprises du
numérique bénéficient de la présence d’oeuvres musicales sur la
toile, sans contribuer, ou à peine, à leur financement, alors même
que l’écoute de musique constitue la pratique culturelle préférée
des Français sur internet.
Telles sont les raisons qui m’ont conduit à ouvrir ici à Cannes l’an
dernier, le chantier de la diversité musicale à l’ère numérique.
Tels sont les enjeux qui nous rassemblent aujourd’hui pour jeter les
fondements de ce Centre national de la musique que nous
appelons tous de nos voeux,
Tout cela n’aurait bien sûr pas été possible sans le travail
remarquable accompli par Alain Chamfort, Franck Riester, Marc
Thonon, Daniel Colling et Didier Selles, avec le soutien de Jean-
Baptiste Gourdin, de la direction générale des médias et des
industries culturelles et de la direction générale de la création
artistique. Cette mission a conduit plus d’une centaine d’auditions
qui ont permis de montrer qu’un très large consensus existait parmi
les professionnels de la filière, tous métiers confondus, sur le
principe et le besoin d’un tel instrument de service public.
Je salue également l’énergie et l’efficacité avec laquelle Didier
Selles et son équipe ont conduit la mission de préfiguration que je
leur ai confiée.
Je n’entrerai pas ici dans le détail des engagements auxquels nous
souscrivons ensemble ce matin concernant les missions, les
ressources et la gouvernance du Centre national de la musique ; ils
sont retracés avec précision dans l’accord cadre.
Je tiens cependant à vous assurer que les engagements des
pouvoirs publics seront mis en oeuvre avec détermination, afin que
le Centre puisse démarrer son action dès cette année et au plus
vite, une fois adoptées les dispositions juridiques nécessaires.
Conformément au souhait du président de la République, une
première étape sera franchie dans les prochaines semaines, à
travers la création d’une association de préfiguration du Centre
national de la musique qui prendra le relais, avec des moyens et
des possibilités juridiques accrues, de l’actuelle mission de
préfiguration.
Je salue l’ambition affichée d’une relance de la création musicale
française et francophone, dans sa diversité, afin que puissent
s’exprimer les jeunes talents si malmenés par la crise du secteur.
Je me félicite également de l’attention portée à ce que les
nouveaux dispositifs de soutien confiés au CNM favorisent l’accès
du public à l’ensemble des esthétiques et des répertoires
musicaux, y compris les moins exposés.
Je suis également très sensible à ce qu’ils prennent en compte la
nécessaire irrigation des territoires et qu’ils renforcent, dans tous
les domaines, la pluralité des acteurs - gage fondamental de la
diversité culturelle.
Les interventions du CNM devront donc permettre de soutenir les
créateurs, l’appareil de production, d’édition, de diffusion et de
distribution, la formation et l’insertion professionnelle des artistes ;
ils apporteront ainsi une contribution essentielle à la préservation et
au développement de l’emploi et des savoir-faire français.
Le CNM, organisme fédérateur et médiateur, aura également pour
mission de défendre les intérêts communs de la filière, en France
et dans le monde, et de la fédérer sur des enjeux qui lui sont
propres, tout en contribuant à l’adaptation de ses acteurs aux
enjeux technologiques et aux évolutions des usages.
Je précise au passage que les nouvelles formes de soutien mise
en oeuvre par le CNM - à l’image de ce qui vaut pour le secteur du
cinéma - ne sont pas dans mon esprit exclusives du maintien du
crédit d’impôt pour la production phonographique : je mettrai donc
tout en oeuvre afin prolonger et d’adapter le dispositif, et ce quelle
que soit la difficulté de l'exercice dans le contexte actuel. Notre
argument majeur est avant tout le formidable impact du crédit
d'impôt en matière de soutien à la création et au renouvellement
des talents.
À travers le pacte fondateur ratifié aujourd’hui, nous engageons de
manière ferme et irréversible la constitution du Centre national de
la musique.
Ce moment fondateur revêt une portée historique, à l’instar de la loi
de 1985 sur les droits d’auteurs et les droits voisins. Il inaugure
aussi un nouveau cycle d’action pour la défense des intérêts
communs de la filière, devant les évolutions des usages que nous
connaissons, et devant les innovations technologiques qui se
profilent à grande vitesse.
Le Centre national de la musique constituera ainsi un point d’appui
important dans la stratégie à laquelle nous travaillons ensemble,
notamment dans le cadre du Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique, pour appréhender les enjeux liés au « cloud
computing », à l’avenir de la copie privée , et pour poursuivre, plus
largement, la réflexion sur la contribution des acteurs du numérique
au financement de la création - je pense notamment aux fabricants
de terminaux électroniques.
Oui, nous pouvons être fiers du chemin parcouru depuis un an.
Auteurs, compositeurs, artistes-interprètes, producteurs de
musique enregistrée ou de spectacles de variétés, éditeurs
musicaux, manageurs, distributeurs spécialisés, radios, platesformes
de musique en ligne, vous pouvez être fiers de la
mobilisation consensuelle dont vous avez su faire preuve pour
défendre ce projet historique, que certains ont cru à tort pouvoir
entraver ou railler, et que d’autres, si opportunément, croient
pouvoir rallier en bout de course, au moment même où ils dénient
aux créateurs le respect de leurs droits les plus élémentaires.
Je salue donc votre contribution et votre soutien si essentiels au
Centre national de la musique.
Je souhaiterais avant de conclure vous dire l’attention que je porte
à la situation extrêmement difficile que vivent un grand nombre de
petits labels à la suite notamment du redressement judiciaire du
distributeur DISCOGRAPH. Certains de ces labels m’ont
personnellement alerté.
J’ai donc demandé à mes services d'expertiser rapidement la
possibilité d’un soutien financier exceptionnel devant intervenir
rapidement, en lien avec les initiatives que la filière souhaitera ellemême
entreprendre.
Je vous remercie pour votre attention, et je propose aux signataires
de nous rassembler pour une photo qui nous permettra de marquer
dans l’Histoire l’unité enfin réalisée de la filière musicale.