Mesdames et messieurs, chers amis,
C’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui pour rappeler avec force que l’avenir de l’Europe sera culturel ou ne sera pas. Alors que vous nous invitez à reprendre ce mot que l’on prête à Jean Monnet, « si c’était à refaire, je commencerais par la culture », je tenais à être des vôtres pour affirmer une ambition forte, qui est celle de la France et de nombre de ses partenaires : redonner toute sa place à la culture dans le projet européen.
L’Europe s’est faite par la culture. Ses valeurs de liberté, de tolérance, d’ouverture, de diversité, de respect sont le fruit de plusieurs siècles de culture partagée, d’échanges artistiques et intellectuels entre les peuples européens. Bien avant l’Europe des nations, il y avait l’Europe de la culture et des idées.
Aujourd’hui, alors que l’Europe doit réaffirmer ses valeurs et se dresser en rempart contre la violence et la haine dont elle a été victime récemment, alors qu’elle doit incarner une ambition forte pour ses citoyens, il nous faut, plus que jamais, mettre la culture au cœur du projet européen.
Dans notre contexte de crise économique, politique et morale, l’Europe a besoin de la culture.
Parce que la culture est l’âme de l’Europe :
C’est par la culture que l’Europe devient une réalité vécue. C’est cette Europe-là, celle des créateurs, des festivals, des artistes, des idées, qui parle aux Européens. C'est de cette Europe-là que nous sommes fiers et c’est elle qui est admirée dans le monde.
Parce que la culture est un moteur pour la croissance européenne :
Les industries culturelles et créatives sont des atouts considérables pour l’Europe car elles sont sources d’emplois, d’attractivité et génératrices de richesses sur nos territoires. Avec plus de 4,2% du PIB de l’Union et près de 7,1 millions d’emplois directs, soit 3,3% de la population active de l’UE, la diversité de la création européenne est sa première richesse dans l’économie mondialisée, et le premier instrument de son rayonnement.
Préserver une industrie culturelle en Europe dans toute la richesse de sa diversité n’est donc pas qu’un enjeu économique. Préserver une industrie culturelle en Europe, c’est préserver le lien entre nos concitoyens et l’Europe, c’est redonner tout son sens au projet européen.
Vous les avez énumérés et largement débattus dans chacune des tables-rondes, les combats à mener pour une Europe de la culture sont les suivants :
La France a joué un rôle déterminant dans la définition du mandat de négociation du partenariat transatlantique et tout particulièrement dans l’exclusion des services audiovisuels des négociations.
Cette décision a marqué une grande victoire dans le combat mené au nom de l’exception culturelle. Elle n’aurait pas été possible sans la mobilisation sans faille des créateurs.
Il est fondamental aujourd’hui que les garanties contenues dans ce mandat ne soient pas remises en cause. Il y va de l’avenir des industries culturelles et créatives et plus largement de la place de la culture en Europe.
Préserver une industrie culturelle en Europe implique de renforcer le droit d’auteur au service d’une triple exigence : la diversité culturelle, l’accès aux œuvres et la juste rémunération de la création.
La France sera force de proposition dans les débats européens sur le droit d'auteur, pour une plus large circulation des œuvres et la diffusion de la culture auprès du plus grand nombre, mais aussi la consolidation des droits des auteurs et de tous les acteurs de la création, pour que l’Europe demeure, telle qu’elle l’a toujours été, une terre de création.
L’une des priorités exprimées par la Commission pour cette réforme est celle de la remise en question de la territorialité des droits, considérée comme un obstacle à l’accès aux œuvres. Mais cette territorialité est liée au mode de financement des œuvres. Le remettre en question, c’est courir le risque d’assécher le financement de la création européenne. Nous n’accepterons pas que le marché unique se fasse au détriment de la diversité. Et je sais combien les mécanismes de préfinancement et de préachats de droits sont essentiels pour vos activités.
C’est pourquoi, sur ce point, nous privilégions des solutions plus souples et dont l’efficacité est démontrée : la portabilité et l’interopérabilité qui permettront d’assurer la circulation de ces œuvres en Europe par des voies contractuelles.
Parmi les autres sujets à l’étude, il y a celui de l’accès au savoir, que certains seraient tentés de traiter par une multiplication d’exceptions. L’exception n’a pourtant de sens que si elle est rare.
Là encore, La souplesse des licences, des contrats agréés par les parties prenantes, adaptées à chaque situation, nous paraît préférable à une règle unique.
Au-delà de ces sujets, plusieurs questions fondamentales me semblent devoir être abordées dans le cadre d’un examen approfondi du droit d’auteur, particulièrement celle du respect du droit d’auteur.
Nous ne pouvons engager une réforme d’ampleur du droit d’auteur sans chercher des solutions pour lutter contre le piratage commercial.
J’ai présenté hier en Conseil des ministres une communication pour présenter un plan d’action ambitieux qui se décline autour de trois grands axes : les mesures d’assèchement des ressources financières des sites illicites ; le renforcement de la coordination de l’action interministérielle et la responsabilisation des plateformes numériques.
S’agissant de l’assèchement des ressources financières des sites illicites, nous avons travaillé à l’élaboration d‘une charte avec les acteurs de la publicité qui sera signée courant mars avec des représentants des ayants-droit.
S’agissant du renforcement de l’action interministérielle : nous allons œuvrer à l’amélioration de la répression des délits de contrefaçon par les autorités judiciaires à travers notamment l’ « action en cessation », à la centralisation des services opérationnels du ministère de l’intérieur plus une plus grande efficacité d’action et à une meilleure prise en compte des flux financiers générés par le piratage dans la lutte contre les circuits financiers clandestins.
S’agissant enfin de la responsabilisation des plateformes qui jouent un rôle essentiel pour la diffusion des contenus culturels à l’ère numérique, il me paraît nécessaire aujourd’hui d’entamer une réflexion sur leur statut pour pouvoir fonder des engagements simples et efficaces à commencer par une domiciliation juridique de ces acteurs. C’est une réflexion que nous devons mener aussi à l’échelle européenne : 15 ans après l’adoption des directives européennes fixant le cadre règlementaire applicable à l’environnement numérique, il est nécessaire de redéfinir les contours du statut d’hébergeur.
Pour préserver une industrie culturelle et créative en Europe, il faut nous donner les moyens de créer un environnement équilibré propice au développement d’acteurs européens de grande envergure.
Aujourd’hui, nos entreprises sont pénalisées par un cadre législatif et réglementaire qui ne permet pas aujourd’hui de créer une concurrence équitable. Il est important que soit rapidement proposée une adaptation du cadre fiscal aux enjeux de développement des contenus et des services culturels dans le nouvel environnement numérique :
. à travers la lutte contre les pratiques d'optimisation et d'évasion fiscale
. mais aussi à travers la révision du cadre réglementaire européen pour permettre l'application de taux réduits de TVA pour les biens et services culturels, qu’ils soient commercialisés sous forme physique ou sous forme numérique dématérialisée. L’arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne sur l'application du taux réduit de TVA au livre numérique, nous donne l’occasion de réaffirmer avec force notre position : une œuvre reste une œuvre quel que soit son support, ce qui fait le livre ce n’est pas son format mais l’œuvre littéraire. La France défendra fermement cette position à Bruxelles et auprès de ses partenaires, dont beaucoup partagent cette position.
La France est aux avant-postes de ces combats, non pas par esprit de contradiction, mais parce qu’elle est animée par une conviction forte : marché unique ne veut pas dire culture unique. La diversité culturelle doit être au cœur de notre projet culturel européen, c’est ce qui fait la force de l’Europe, dont la devise, je le rappelle est « unis dans la diversité ».
C’est bien cela qui est en jeu avec l’exception culturelle et la défense du droit d’auteur. En menant ces combats, la France ne défend pas jalousement ses artistes, elle ne cherche pas à obtenir un traitement de faveur pour son industrie nationale pour sa langue, mais elle se bat toutes les cultures afin que tous les artistes puissent créer et toutes les langues puissent s’exprimer.
Dire que la culture n’est pas une marchandise comme une autre, affirmer que l’Europe n’est pas et ne peut pas être réduite à un grand marché, c’est rappeler le fondement du projet européen. C’est dire avec Jacques Delors que l’« on ne tombe pas amoureux d’un marché unique ». C’est rappeler que l’Europe de la culture a précédé celle des nations. Et que l’Europe politique a besoin de l’Europe de la culture car sans culture il ne peut y avoir ni communauté vivante, riche de sa diversité, ni union des peuples.
L’Europe dont rêvait Hugo, où il n’y aurait d’autre champ de bataille que les esprits s’ouvrant aux idées, c’est à nous de nous battre pour la faire vivre.
Je vous remercie.