Chers amis,
Quand j’ai pris l’initiative d’organiser ces « Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma », j’avais une seule obsession : Ne pas laisser retomber la vague qui s’est levée l’an dernier.
Ne pas laisser revenir le calme, après la tempête, comme si de rien n’était. Comme si WEINSTEIN n’avait jamais existé. Comme s’il n’y avait que lui. Comme s’il n’y avait que ça... Comme si l’égalité des droits sur le papier signifiait l’égalité des chances dans la réalité ...
Il n’y a qu’une façon d’éviter que la vague ne retombe, ou pire, que la marée ne se retire … la seule façon d’éviter cela : c’est d’agir. Agir pour convertir le choc des consciences en choc des comportements. Agir pour passer de l’indignation à la révolution.
Prendre des engagements. Les tenir. C’est le sens du travail que nous avons engagé depuis plusieurs mois maintenant avec le CNC – et je salue Frédérique BREDIN, dont l’engagement sans faille sur ce sujet a permis et permettra encore des avancées inédites. Nous avons engagé ce travail en coopération étroite avec le collectif 50/50, que je veux remercier du fond du cœur pour sa mobilisation.
J’avais pris l’engagement d’organiser ces Assises pour battre le fer encore chaud, réunir votre filière, nourrir les échanges. Nous voilà rassemblés aujourd’hui. Merci à toutes celles et ceux qui ont animé, participé ou assisté aux débats.
Je m’étais engagée à prendre des mesures dès cette année. Nous y avons travaillé ces derniers mois, avec le collectif 50-50, en lien étroit avec votre filière : je suis fière de vous annoncer aujourd’hui nos six premières mesures concrètes en faveur de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma.
La première façon de combattre les inégalités, c’est de les dénoncer. Et pour les dénoncer, il faut les mettre en évidence, les identifier, les chiffrer.
Il se trouve encore des gens pour contester la réalité des inégalités, des discriminations, des violences dont sont victimes les femmes : parce que ces gens-là cherchent à se protéger, à protéger leurs amis, à protéger l’omerta. Le combat des consciences n’est pas encore achevé.
Pour rendre les inégalités indiscutables, nous devons les objectiver. C’est la première mesure que j’ai décidé de prendre.
Dans les dossiers d’agrément au CNC, nous allons désormais rendre obligatoire le renseignement de statistiques de genre – sur les équipes techniques et sur la masse salariale : combien de femmes et d’hommes parmi les effectifs, quelle répartition sur les différents métiers, quels écarts de salaires éventuels…au-delà de l’application de la convention collective.
Nous avons des chiffres aujourd’hui, grâce à des études et des enquêtes. Mais nous n’avons pas d’outil de suivi continu et systématique. Nous allons le mettre en place avec le CNC.
Pour gagner le combat de l’égalité, il faut ensuite provoquer le changement. Je l’ai dit : je n’ai pas de tabou.
Quand les choses ne changent pas d’elles-mêmes, ou trop lentement, c’est à nous de les faire changer. Dans certains cas, je considère que la solution c’est d’en passer par les quotas : c’est ce que j’ai décidé de faire, dans mon ministère, en instaurant la parité dans les nominations à la tête des établissements.
Dans d’autres cas, en particulier lorsqu’on touche à la liberté de création, les incitations financières sont la meilleure option.
Pour le cinéma, j’ai donc décidé de créer une prime à l’exemplarité en matière d’égalité femmes-hommes : le CNC apportera un soutien privilégié à ceux qui s’engagent pour la parité. Ça n’a jamais été fait : nous franchissons le pas.
C’est la deuxième mesure que je veux annoncer aujourd’hui. Nous allons expérimenter en 2019 un bonus de 15% sur le soutien mobilisé pour la production, pour les films dont les équipes sont exemplaires en matière de parité.
Un barème sur 8 points sera mis en place pour rendre compte de la présence de femmes aux postes clés : avec 1 point en cas de réalisatrice, 1 point si l’auteur est une femme, et 1 point par poste de chef technique occupé par une femme.
Le bonus sera ouvert dès lors que l’équipe technique totalise au moins 4 points. Aujourd’hui, moins d’un film sur six serait éligible. Ce chiffre nous oblige.
Nous pensons ce bonus comme un levier de transformation : il a vocation à disparaître, lorsque la parité sera installée. Son impact fera l’objet d’un suivi annuel. C’est une mesure puissante, qui marque notre détermination. C’est une mesure inédite.
C’est une mesure à la hauteur de l’urgence du défi.
Récompenser les bons élèves ne veut pas dire laisser faire les plus passifs. Le combat de l’égalité ne se remporte pas à moitié. Nous avons besoin de l’exemplarité de toute votre filière.
Je propose donc aussi qu’une « charte des bonnes pratiques pour l’égalité » puisse lier toutes les entreprises du cinéma en France, avec des engagements forts dans tous les champs : accès aux responsabilités, salaires, lutte contre le harcèlement … En lien avec le collectif 50-50, mon ministère va lancer un groupe de travail avec les représentants de votre secteur pour qu’un texte soit prêt d’ici début 2019.
Pour que ce combat pour l’égalité infuse l’ensemble des soutiens publics, je veux aussi en faire un axe de nos partenariats avec les collectivités territoriales.
C’est la quatrième mesure que je veux annoncer aujourd’hui. Beaucoup d'élus m'ont fait part de leur souhait de conclure avec mon ministère des chartes sur l’égalité femmes-hommes dans tous les champs des politiques culturelles. Je veux les remercier. Je souhaite que les premières puissent être signées d’ici la fin de cette année.
S’agissant plus particulièrement du cinéma : Nous aurons une occasion privilégiée de prendre des engagements concrets dès l’an prochain, dans le cadre de la renégociation des conventions entre le CNC et les régions, prévue pour 2019.
Je vais donc proposer aux élus de saisir cette opportunité pour intégrer aux conventions des mesures fortes en faveur de l’égalité :
- Je propose que soit instaurée la parité femmes-hommes pour la composition des commissions d’attribution des aides ;
- Je propose que les statistiques relatives aux films accompagnés incluent des données « genrées », comme pour les dossiers d’agrément au CNC ;
- Et je propose que nous posions l’objectif de renforcer l’accompagnement apporté aux femmes réalisatrices et d’améliorer leur accès aux moyens de création et de production.
Ces conventions sont un moyen de combattre les inégalités et les discriminations au cœur de chaque région, sur l’ensemble du territoire.
Cette exemplarité que nous attendons de tous, dans la France entière, nous devons aussi l’incarner, évidemment. Le CNC doit s’engager davantage pour la valorisation des femmes réalisatrices et des œuvres qu’elles laissent à notre patrimoine cinématographique.
Je ne peux pas, en disant cela, ne pas rendre hommage à Marceline LORIDAN-IVENS, qui nous a quittés cette semaine…Femme de combats, femme de mémoire, femme de cinéma…
C’est la cinquième mesure que je veux annoncer aujourd’hui : Nous allons renforcer la part de films réalisés par des femmes parmi les œuvres du patrimoine qui sont accompagnées.
Aujourd’hui, les films signés par des femmes ne représentent que 7% des demandes de soutien à la restauration et à la numérisation déposées au CNC.
Cette sous-représentation est en partie le miroir de la sous-représentation des femmes réalisatrices dans l’histoire du cinéma. Mais c’est une raison supplémentaire de se battre pour leur mise en lumière. Afin que l’histoire ne se prolonge pas.
Pour commencer, le groupe d’experts chargé de la sélection des films sera rendu paritaire, au moment de son renouvellement. Sa lettre de mission précisera l’objectif de valorisation accrue des œuvres de réalisatrices. Et il s’agira également de communiquer davantage pour faire connaître le dispositif, afin que le nombre de dossiers déposés par des réalisatrices augmente.
Il ne suffit pas de combattre les inégalités, il faut aussi les prévenir : c’est le sens des mesures que je veux prendre pour les jeunes générations.
L'éducation à l'image a un rôle majeur à jouer.
Nous devons veiller à ce que les actions menées donnent une juste place aux femmes du cinéma – réalisatrices, actrices, personnages féminins….
Le CNC conduit plusieurs programmes formidables pour initier les scolaires au septième art : je pense à « Ecole et cinéma », « Collège » et « Lycée au cinéma ». Nous allons insérer l’objectif de donner une juste place aux femmes dans la lettre de mission de la Commission chargée d’établir la liste des œuvres pour ces dispositifs. Les distributeurs seront invités à proposer des films réalisés par des femmes et/ou avec des roles models féminins.
Pour accompagner, préparer, commenter la projection des films, nous allons par ailleurs mettre à la disposition des enseignants des outils qui abordent la question des stéréotypes, des discriminations et du traitement des femmes dans toute l’histoire du septième art.
Enfin, en complicité avec le ministère de l’Education nationale, nous devons renforcer la formation des enseignants à l’éducation à l’image, pour qu’elle devienne un passage obligé de la scolarité des enfants.
L’égalité se cultive dès le plus jeune âge. Les vocations aussi. Donner à voir les femmes du cinéma à nos enfants, petits-enfants, c’est augmenter la chance de voir des jeunes filles se dire « demain, ce sera moi », se sentir légitimes, et reprendre à leur tour le flambeau.
Voici les premières mesures concrètes que nous prenons aujourd’hui, avec le CNC. Ce ne sont pas les dernières. Je sais que vos débats ont été riches, ces trois derniers jours.
Je sais que des propositions ont émergé et nous ne manquerons pas de poursuivre nos travaux, pour prendre de nouvelles initiatives.
Je veux d’ores et déjà mentionner trois chantiers sur lesquels je suis engagée :
Premièrement : la visibilité des films réalisés par des femmes en salles, qui reste inférieure à celle des hommes ; je souhaite qu’on examine la possibilité de mettre en place des incitations pour promouvoir la distribution et l’exploitation des films de femmes, comme nous le faisons pour leur production.
Deuxième chantier : l’égalité femmes-hommes dans la production audiovisuelle. Le cinéma n’est pas le seul à porter un devoir d’exemplarité. Le CSA travaille sur la représentation des femmes à l’écran – vous en avez discuté. Il faut aller plus loin, en élargissant le combat aux équipes techniques et aux tournages – en tenant bien sûr compte de la spécificité du secteur: les chaînes doivent elles aussi prendre des engagements.
Nous allons mener un travail avec le CSA, les professionnels de la filière, et aussi les diffuseurs, pour favoriser l’égalité femmes-hommes dans la production audiovisuelle.
Je sais la détermination de Delphine ERNOTTE sur le sujet, et je l’en remercie. C’est l’ensemble de l’audiovisuel public, mais aussi l’ensemble des chaînes privées qui doivent s’engager : je sais qu’elles sont conscientes de l’urgence à agir.
Troisième chantier à venir : la conduite d’une réflexion plus large sur la diversité. Parce que le combat pour l’égalité ne s’arrête pas à l’égalité femmes-hommes. Parce qu’il nous reste du chemin à parcourir – dans le cinéma comme dans l’audiovisuel – sur la représentation de toute notre société… Aujourd’hui, je le dis : je m’appelle Hapsatou NYSSEN.
Mes chers amis,
Nous sommes au lendemain d’une prise de conscience planétaire. Le plus grand danger – je le redis – c’est celui du contrecoup ; de la démobilisation ; de la passivité.
Nous avons une chance unique, historique de faire changer les choses.
D’écrire l’avenir.
Ne la laissons pas passer. Je sais pouvoir compter sur vous.
Merci pour votre engagement.