Monsieur le préfet de région,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président de la SACEM, cher Bruno LION,
Madame la présidente des Nuits de Fourvière, chère Myriam PICOT,
Monsieur le directeur général de la SACEM, cher Jean-Noël TRONC,
Monsieur le directeur des Nuits de Fourvière, cher Dominique DELORME,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Merci pour votre accueil. Merci pour votre invitation.
Et merci pour le thème que se sont choisies les Journées de la création, pour leur 3e édition[1]. Effectivement, je crois qu’on ne peut parler d’Europe sans parler de culture. Parce que c’est par la culture que tout a commencé. C’est par sa culture que l’Europe est devenue l’Europe.
C’est par ses créateurs, ses artistes, ses auteurs, qui, de Léonard DE VINCI à KUNDERA, de MOZART à PICASSO, et de STENDHAL à ZWEIG, ont éprouvé, réellement, ce que c’était que d’être européen ; eux qui ont vu dans les frontières non pas des murs infranchissables, mais des invitations à les traverser, à dialoguer, à échanger. C’est par ses cafés, et les poètes et flâneurs qui y ont élu domicile, pour écrire, réfléchir et débattre. C’est par tout cela que l’Europe, avant d’être telle qu’on la connaît, avant de se doter d’institutions, était une communauté de destin. Une communauté de valeurs, de langues, de coutumes, de mémoires. Une communauté qui a mis les pères fondateurs sur la voie de l’Union. Cette union, Laurent GAUDÉ la retrace dans un court texte qu’il vient de publier, un manifeste presque, intitulé « Nous, l’Europe ». Il y dessine une histoire de notre continent. Avec poésie, avec passion, avec ambition. Selon lui, nous avons renoncé à ce désir d’utopie qui guidait autrefois ceux qui ont construit l’Europe. Ces idées folles qui nous ont un jour animés, ces idées folles sans lesquelles l’Europe ne serait pas l’Europe, il nous invite à les retrouver. « A bas l’uniformisation, écrit-il : nous méritons de plus grands rêves. […] Nous n’avons pas même langue, […] nous sommes éclatés de couleurs, d’accents, d’histoires : […] nous sommes peuples si différents que notre choix de nous unir […] est un événement inouï au regard de l’Histoire. » Ce n’est pas, je crois, être trop orgueilleux qu’affirmer que l’Europe n’a aucun équivalent.
L’Europe, c’est cette volonté farouche, obstinée, impossible sur le papier, de s’unir malgré nos diversités. De s’unir, précisément, pour nos diversités. Pour en faire notre richesse. Notre chance. Oui : la diversité culturelle est une chance. C’est cette chance qui permet à nos festivals de l’été d’accueillir, chaque année, sur le sol français, des artistes venus de Florence, de Mayence ou de Valence ; de Cologne et de Bologne ; de Bratislava et d’Ostrava ; de Birmingham et de Rotterdam ; de Thessalonique et de Dubrovnik.
La diversité culturelle, c’est cette chance qui permet à des artistes français, comme M, Vanessa PARADIS ou Eddy DE PRETTO, de partager la scène des Nuits de Fourvière avec des artistes canadiens, comme Mac DeMARCO ; sénégalais, comme Youssou N’DOUR ; anglais, comme Tears for Fears, Roger HODGSON ou King Crimson ; américains, comme Bon Iver ou Mavis STAPLES ; tunisiens, comme Dhafer YOUSSEF ; ou néo-zélandais comme Aldous HARDING.
La diversité culturelle, c’est cette chance qui permet à un festival comme les Nuits de Fourvière de proposer une programmation riche et éclectique, à destination de tous les publics : du théâtre équestre de BARTABAS à la danse de Natalia OSIPOVA ; de l’électro deThe Blaze au punk rock de Idles.
Cette diversité culturelle, notre diversité culturelle, il nous faut la protéger et l’encourager. » puis saut de ligne, et « La protéger, d’abord, en faisant évoluer notre régulation.
C’est le sens de la directive droit d’auteur. Elle était adoptée il y a presque trois mois jour pour jour[2]. Avec ce texte, l’Europe réaffirme que la création est l’un de ses piliers. Et qu’il ne peut y avoir de création sans une reconnaissance et une juste rémunération des créateurs.
C’est une immense victoire – nous ne le répéterons jamais assez. C’est la preuve que l’Europe est le bon échelon pour tenir tête aux géants numériques. Le seul échelon. Car, face aux plateformes, nous ne ferons le poids que si nous faisons front commun. Elles pourraient peut-être chercher à contourner la règle si nous adoptions la loi au niveau national, de manière isolée. Elles pourraient peut-être se passer de proposer leurs services dans un ou deux pays. Elles pourraient peut-être renoncer à quelques dizaines de millions d’usagers. Mais elles ne peuvent pas tourner le dos à l’Europe. Elles ne peuvent pas se départir de 700 millions d’utilisateurs potentiels.
C’est pour cette raison qu’il fallait que ce texte soit voté par l’Europe, et pas seulement par un Etat. Avec ce vote, nous avons adressé une réponse forte à tous ceux qui ne croient plus en l’Europe.
A tous ceux qui ne croient plus en sa capacité à nous protéger, à défendre notre modèle culturel, cette diversité qui nous est si chère et qui est le ciment de l’Europe. A tous ceux qui ont perdu de vue que l’union nous rend plus forts.
L’Union européenne est notre meilleure protection : ce vote l’a rappelé. En dépit d’une pression intense et sans précédent de la part des géants du numérique, en dépit de campagnes massives de désinformation sur les réseaux sociaux, l’Europe a tenu bon.
L’Europe n’a pas cédé. L’Europe a résisté. Avec tous les Etats-membres et tous les peuples d’Europe, nous avons su saisir l’opportunité historique qui s’offrait à nous : celle de faire entrer le droit d’auteur dans l’ère numérique.
De faire évoluer des rapports de force déséquilibrés. De défendre nos valeurs et nos intérêts ; nos entreprises européennes et nos concitoyens européens ; nos artistes et nos journalistes ; nos auteurs et nos créateurs.
C’est pour eux, avec eux, que nous nous sommes battus. Il nous faut maintenant aller vite pour transposer la directive. La France compte bien montrer la voie avec un texte ambitieux. Je tiens à remercier tous ceux parmi vous qui étaient à mes côtés, et l’ensemble des acteurs de la profession qui ont pesé lors des débats au sein des instances européennes.
Votre mobilisation a été capitale : elle a largement contribué au succès de notre démarche. A présent, il est temps d’avancer. Et d’avancer vite. Nous avons fait circuler une première proposition de texte, sur les articles 17, 18 et suivants, pour concertation sur les dispositions applicables. Nous avons besoin de votre retour.
Je compte sur vous toutes et tous pour le faire dans les plus brefs délais. Cette directive, nous venons d’en transposer une partie à travers la proposition de loi tendant à créer un droit voisin, adoptée par le Parlement en première lecture.
Nous en transposerons le reste dans la révision de la loi de 1986 sur la régulation audiovisuelle. L’objectif, là encore, est de faire évoluer notre cadre de régulation. De l’adapter aux nouvelles réalités économiques et technologiques. De transposer, en plus de la directive droit d’auteur, la directive « services de médias audiovisuels ». De rééquilibrer les règles, entre des acteurs traditionnels très régulés – comme les chaînes de télévision et les radios – et de nouveaux acteurs numériques qui ne le sont pas, ou trop peu. D’intégrer ces nouveaux acteurs à notre modèle vertueux de financement de la création, garant de notre souveraineté culturelle française et européenne. Il est normal qu’ils soient soumis aux mêmes règles que les autres, et qu’ils financent, eux aussi, la création française et européenne. C’est le fondement du modèle culturel auquel nous sommes tous attachés.
Adapter notre cadre de régulation, moderniser nos moyens d’action, c’est également relancer la lutte contre le piratage. Et la loi « audiovisuel » le fera.
Aujourd’hui, la réponse que nous apportons à ce fléau n’est plus adaptée. Depuis la création de l’HADOPI, les technologies ont évolué, la destruction de valeur s’est accélérée.
Hier, nous visions le téléchargement pair à pair. Aujourd’hui, le piratage se fait désormais à 80% par diffusion en flux ou en téléchargement direct.
Nous devons nous mettre à jour. Pendant trop longtemps, nous nous sommes trop intéressés à ceux qui téléchargent illégalement, et pas assez à ceux qui diffusent illégalement. Or ce sont eux qui organisent le piratage ; eux par qui prospère le pillage.
C’est à eux que nous devons nous attaquer, avec fermeté. C’est ce que nous ferons. Nous viserons directement les sites-pirates. Nous les assécherons de leurs ressources publicitaires, par la publication de « listes noires ». Elles permettront aux annonceurs, aux services de paiement ou encore aux moteurs de recherche de connaître les sites illicites et de cesser toute relation avec eux. Nous empêcherons, par des décisions de justice plus efficaces, la réapparition des sites-miroirs.
Cette loi contiendra également un volet important sur la transformation de l’audiovisuel public. Je veux qu’il devienne la référence en Europe.
Je veux un audiovisuel public plus numérique ; plus proche des Français ; qui donne voix à la jeunesse, à la culture, aux Outre-mer ; qui soit à la pointe dans la qualité et la fiabilité de son information ; et qui contribue au rayonnement de la France dans le monde.
Je veux un audiovisuel public qui soutienne pleinement la création : qui épouse les nouveaux usages ; qui expérimente de nouveaux formats, de nouvelles formes de narration ; qui fasse découvrir de nouveaux talents.
Notre audiovisuel public se doit d’être l’emblème de notre diversité culturelle.
Protéger la diversité, faire évoluer la régulation : nous devrons le faire également pour la filière musicale. La qualité et la diversité de la création francophone musicale ont toujours été encouragées, par la politique de quotas et par le crédit d’impôt pour la production phonographique.
Nous devons continuer sur ce chemin. Le ministère de la Culture est aux côtés de la filière, pour étudier les effets qu’ont les nouveaux usages sur la diversité culturelle. A cet égard, mes équipes ont engagé une réflexion avec l’ensemble des services numériques réunis au sein du Syndicat des Editeurs de Service de Musique en ligne, sur la manière de mesurer la diversité culturelle à l’ère des playlists, des algorithmes et de la recommandation personnalisée. Je les remercie pour cet effort de transparence.
Nous partagerons bien entendu ces réflexions avec l’ensemble de la filière musicale, dès que nous aurons suffisamment avancé. Plutôt que d’imaginer dans l’urgence d’hypothétiques mécanismes de régulation, prenons d’abord le temps de cerner le phénomène et de mettre en lumière les éventuels problèmes qu’il soulève. Plutôt que d’agir dans la hâte, prenons, ensemble, le temps de la réflexion. De l’observation.
L’observation : ce sera l’une des missions confiées au futur Centre national de la musique. Il a vocation à rassembler, au sein d’une maison commune, les outils de soutien, d’accompagnement, et d’observation de la filière musicale.
Car s’il est indispensable de mieux réguler, de défendre et de protéger la diversité, ce n’est pas suffisant.
Pour lui permettre de fructifier, il faut aussi encourager la création, l’accompagner, la soutenir. Il ne faut pas seulement faire évoluer notre régulation, mais aussi nos dispositifs de soutien. C’est l’une des ambitions, parmi d’autres – je viens de les évoquer – du projet de Centre national de la musique.
C’est un projet ambitieux, un projet qui rassemble. J’en veux pour preuve l’adoption à la quasi-unanimité à l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à sa création. Merci à Pascal BOIS, qui est parmi nous et qui a porté ce texte avec tout l’engagement qu’on lui connaît.
C’est le signe d’un soutien large, qui dépasse les clivages. Je m’en réjouis.
En parallèle de l’examen du texte de loi, j’ai souhaité la mise en place d’un comité de pilotage, présidé par Catherine RUGGERI, pour traiter de l’ensemble des questions qui conditionnent la création effective et réussie du CNM.
Et si nous voulons qu’elle soit effective et réussie, cette création devra se faire dans l’adhésion et la concertation.
C’est pourquoi une instance de dialogue et de concertation a également été mise en place, afin de vous associer étroitement à ces travaux.
De même qu’on ne construira pas une telle maison sans concertation, on n’y parviendra pas sans un effort financier à la mesure des enjeux, et sans une gouvernance permettant de concilier efficacité, agilité, et association du monde de la musique dans toute sa diversité. Cette gouvernance sera définie dans le décret statutaire en cours de préparation.
Quant au financement, il sera précisé lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2020. Je pense qu’il est essentiel que le budget soit abordé dans une perspective pluriannuelle, avec une montée en charge progressive des dispositifs et des soutiens. J’ai entendu les craintes de certains d’entre vous quant à la continuité avec le système actuel de financement.
Il n’est pas souhaitable de rigidifier la structure par une politique de fléchage, mais il est évident que les contributeurs actuels du CNV ne doivent pas voir le soutien qui leur est accordé diminuer.
En ce qui concerne plus spécifiquement la question des réserves du CNV, il est essentiel qu’elles soient employées dans le cadre du périmètre actuel de l’établissement public.
Je vous invite donc à continuer à nourrir les réflexions conduites sous l’égide de Catherine RUGGIERI. Parmi les missions du futur CNM, se trouve le développement de la filière à l’export.
Le ministère de la Culture l’assure, à travers le Bureau Export, qui encourage la présence et la mobilité des artistes français à travers le monde. Nous avons eu l’occasion de réaffirmer toute notre ambition en la matière, il y a quelques semaines, avec le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves LE DRIAN, en réunissant le comité stratégique sur les industries culturelles et créatives à l’export.
Et vous y travaillez, monsieur le directeur général, cher Jean-Noël, dans le cadre de la mission qui vous a été confiée pour soutenir et fédérer les industries culturelles dans leur développement à l’export. Je veux vous remercier pour votre engagement de chaque instant. Faire évoluer nos dispositifs de soutien aux industries culturelles et créatives : c’est l’ambition du Président de la République.
Il les a appelées, il y a quelques semaines[3], à l’Elysée, à dépasser les clivages.
Face au numérique, face aux grands champions américains et au modèle chinois surfinancé, nous devons faire preuve d’union, d’engagement collectif, de davantage d’agilité d’aussi.
Il y a également besoin de davantage de moyens, en particulier pour soutenir l’innovation.
C’est pourquoi le Président a annoncé un effort sans précédent en faveur de l’accès des industries culturelles et créatives aux financements. Par la création d’un fonds d’investissement de 225 millions d’euros géré par BPIfrance, consacré à l’amorçage et au développement d’entreprises innovantes. Et par le renforcement des interventions de l’IFCIC[4] en prêts participatifs.
Dans cette même ambition de favoriser l’innovation, le Président de la République a annoncé l’organisation d’Etats généraux, qui doivent aboutir à la création d’un comité de filière des industries culturelles et créatives.
L’objectif est d’encourager les professionnels des industries culturelles à des actions rapides, concrètes et coordonnées pour innover.
Car c’est par l’innovation industrielle que nous pourrons répondre aux nouveaux défis technologiques.
Dans ce contexte de grands bouleversements, nous devons garder en tête la destination de ces dispositifs de soutien. Ils doivent bénéficier à la création. Et il n’y a pas de création sans créateurs : sans les auteurs ; sans les compositeurs ; sans les artistes-interprètes. Nous devons les replacer au cœur de nos politiques culturelles. Et nous interroger sur la place qui leur est réservée, au sein de notre société. Ils nous alertent sur leur précarité. J’entends leurs inquiétudes, leurs préoccupations, le manque de reconnaissance dont ils souffrent. Pour y répondre, j’ai souhaité engager une réflexion sur l’auteur et l’acte de création. J’ai confié une mission prospective sur le sujet à Bruno RACINE.
Elle doit nous permettre de trouver le cadre le plus favorable à l'épanouissement de la création et de la diversité culturelle, pour les prochaines années. Le bouleversement de la chaîne de valeur induit des effets importants sur leur rémunération, et leur régime social et juridique doit prendre en compte ces évolutions. J’ai souhaité que cette réflexion soit ambitieuse et réaliste, concertée et ouverte, multidisciplinaire et prospective, au service de tous les créateurs.
A ce titre, Bruno RACINE a constitué un collège d’experts permettant d’apporter des regards croisés sur une économie de la création dont la diversité implique la mise en commun d’analyses issues de différentes disciplines.
Il me rendra ses propositions d’ici la fin de l’année.
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Protéger, et encourager. Défendre, et accompagner.
Réguler, et soutenir. Voilà nos maîtres-mots, pour garantir notre diversité culturelle. Cette diversité qui nous est si chère, et qui vous doit tant, et à laquelle nous devons tout. Oui : l’Europe n’existe que parce qu’elle est faite de diversité.
Sans diversité, nous n’aurions rien à échanger. Si nous nous ressemblions, si nous n’avions rien de différent, nous n’aurions rien à partager avec notre prochain, avec le pays voisin, avec le monde.
Cette diversité, chérissons-la. Elle est ce que nous sommes, et elle est notre avenir. Nous en sommes les héritiers, et je veux que nous en soyons les garants.
Par-delà les conflits et les réconciliations, les peuples d’Europe n’ont jamais cessé de converser : dans la langue de leurs artistes, la langue de leurs penseurs, la langue de la création.
Alors, refondons l’Europe par la diversité. Par la création.
Par la culture.
[1] « Ensemble pour construire notre Europe de la culture »
[2] 26 mars 2019
[3] Le 13 mai dernier
[4] Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles