Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Laissez-moi vous dire tout le plaisir que j’éprouve à vous accueillir ce soir, au Ministère de la Culture, pour la remise du prix « Archinovo » qui couronne pour la troisième fois des maisons individuelles et les architectes qui les ont conçues.
Merci aux propriétaires d’avoir accepté que leur habitation soit placée au centre de ce concours. Merci aux très nombreux architectes qui ont joué le jeu de cet événement qui célèbre leur talent. Merci aux membres du jury d’avoir distingué ces lauréats parmi ces 32 maisons sélectionnées. Merci enfin, à Delphine Aboulker, et à l’Agence « Architecture de collection », d’en avoir été à l’origine.
Je suis heureuse de ces prix, parce qu’ils distinguent au fond le premier geste que tout un chacun attribue à l’architecte : celui de la maison individuelle. Nous touchons là à un rêve que partagent beaucoup de Français. Qui n’a pas rêvé d’avoir sa propre maison bien à soi, conçue pour soi, un lieu adapté à ses goûts, à sa propre vie, à ses habitudes, à ses passions, à ses désirs, à son histoire ?
Ce rêve prend racine dans une tradition ancienne et a traversé les siècles.
Ce rêve, il arrive parfois qu’on juge qu’il n’est plus adapté aux défis des temps nouveaux : une maison individuelle est-elle nécessaire face au défi de la préservation - nécessaire - des terres agricoles ? La maison individuelle est-elle nécessaire face au défi de la densité, souvent indispensable pour offrir à chacun des services publics de proximité et des transports en commun accessibles ? La maison individuelle est-elle nécessaire face au défi de la préservation des paysages, parfois mis à rude épreuve, il est vrai, lorsque surgissent de terre des pavillons souvent uniformes – pour ne pas dire informes – qui rompent avec la beauté d’un lieu – pour ne pas dire qu’ils le défigurent ? L’espace périurbain, cet entre-deux, ni tout à fait rural, ni tout à fait urbain, ne cesse de gagner du terrain. Et tout en le voyant gagner du terrain, nous nous interrogeons sans cesse sur son caractère soutenable, dans tous les sens du terme. La maison individuelle souffre donc, souvent, d’une mauvaise presse.
A contrario la « maison d’architecte » est célébrée davantage. Mais elle est d’autant plus célébrée qu’elle est perçue par une partie de nos concitoyens comme inaccessible. Comme un rêve uniquement à la portée de ceux qui en auraient les moyens, qui sauraient choisir les matières et les formes, habitant dans un lieu qui serait à la fois tourné vers le monde et territoire de l’intime. Et si les architectes reconnaissent que tous les grands ont commencé par inventer et créer à travers la maison individuelle – songeons par exemple aux maisons savantes de Frank Lloyd Wright ou de Mies Van der Rohe, d’Alvar Aalto et de Le Corbusier et, en particulier, à cet exemple emblématique et singulier du Cabanon de Roquebrune Cap Martin –, ils leur préfèrent souvent les habitats collectifs, plus propices à l’audace.
Ce que j’apprécie dans ces prix, ce que j’apprécie dans ces projets sélectionnés en particulier cette année par le jury d’Archinovo, c’est qu’ils font mentir tout cela. Ils battent en brèche tous les clichés et tous les attendus. Ils nous plongent dans le réel et dans le souhaitable. Et ce réel, et ce souhaitable, c’est l’architecture du quotidien. Ce geste qui consiste à donner du sens à l’espace dans lequel nous vivons. Ce geste que j’ai placé au cœur de la Stratégie nationale pour l’architecture que j’ai présentée il y a quelques mois. Avec vous, avec vos projets, avec ces prix, l’importance de cette stratégie et de ses mesures les plus concrètes apparaissent très distinctement.
La force d’Archinovo est de montrer que ce geste qui consiste à recourir à un architecte n’est pas si onéreux et que le jeu en vaut la chandelle. De fait, comment ne pas tomber instantanément sous le charme de la DB House de l’agence Avignon et Clouet, bâtie à Saint-Sébastien-sur-Loire ? On entre là dans une demeure au milieu d’un lotissement qui ne laisse rien présager de l’extérieur, mais qui nous plonge soudain dans un univers qu’aurait brossé Hockney. L’eau est partout dans la maison, grâce au patio tout en transparence. La piscine, entre intérieur et extérieur, se donne comme un espace méditatif puissamment émouvant. Rien d’étonnant à voir cette demeure couronnée du « prix du jury ».
Prouver que le jeu en vaut la chandelle : c’est exactement ce que je veux démontrer avec la grande étude économique que nous lancerons avec le ministre de l’économie pour mieux évaluer l’apport de l'architecture. Pour avoir plus d’architecture, nous allons prouver que faire appel à un architecte apporte une sécurité précieuse pour tous nos concitoyens qui cherchent à construire leur maison. Le suivi du chantier par l’architecte, le lien qu’il effectue avec les autres professions du bâtiment, la responsabilité qu’il endosse, sont une garantie pour que la maison dure, pour qu’elle ait une plus grande valeur.
La force de cette édition d’Archinovo est de montrer que recourir à un architecte peut être bénéfique à l’environnement dans lequel s’insère la maison.
Quel meilleur exemple que la Halle, conçue par Jean-Baptiste Barache et Sihem Lamine de l’agence ARBA, qui reçoit aujourd’hui le prix « habitat durable » ? Ils ont fait surgir de terre une maison dotée d’une grande toiture, à basse consommation, à la fois lieu de vie et de travaille, aux espaces séparés par la résille de bois.
Voilà une maison qui, comme la précédente, s’insère parmi d’autres, dans un quartier excentré de Rouen. Aucune maison n’est hors-sol, c’est une banalité de le dire.
Construire une maison, c’est donc transformer l’espace qui y mène. Nous prêtons donc une attention particulière à l’aménagement des lotissements, dont le projet architectural, urbain et paysager, nécessaire pour le permis d'aménager pour les lotissements, sera désormais établi obligatoirement par un architecte, qui pourra s’associer les autres compétences appropriées. C’est une mesure inscrite, avec le concours des parlementaires, dans la loi « liberté de création, architecte et patrimoine » que je porte.
De même, toute maison est une œuvre collective. Elle est le fruit d’un échange entre architecte et commanditaire bien sûr, mais aussi avec la mairie qui délivre le permis de construire, ainsi qu’avec les différents conseils éventuels, comme les CAUE qui apportent un regard précieux et que nous souhaitons mettre en valeur dans la Stratégie nationale pour l’architecture.
La force de cette édition d’Archinovo est de montrer que la maison n’est pas un espace définitif, pétrifié dans une histoire, mais toujours susceptible au contraire de se transformer. C’est là un défi qui est au cœur de l’aménagement et de l’architecture de demain : nous aurons toujours plus à nous adapter aux évolutions de la vie, aux frontières qui s’estompent entre activité professionnelle et vie familiale, au vieillissement, aux familles recomposées aux enjeux climatiques, à l’isolation. Ce défi est relevé avec beaucoup de talent par quelques architectes sélectionnés cette année : Antonin Ziegler et sa Maison Observatoire, Marchi Architectes et leur Black Wood House, ou encore Emmanuelle Weiss et sa Maison noire. La maison est un terrain d’expérimentation.
La force de cette édition d’Archinovo est de montrer, tout simplement que l’expérimentation et le beau peuvent être accessibles à tous, que l’audace n’est pas réservée à quelques-uns, que l’originalité n’est pas gratuite et qu’elle peut avoir du sens dans l’espace ou la fonction dans laquelle elle s’insère. Et j’avoue avoir été séduite, tout comme le jury qui lui a attribué une « mention spéciale », par cette maison de vacances de Sarzeau conçue par Julien Perraud, Benjamin Boré et Thomas Durand, de l’agence RAUM. Car elle ose, cette maison.
Dans un voisinage peuplé de petits pavillons typiquement bretons apparaît cette maison noire tout en bois, au patio décentré, qui résiste au monolithe. Mais l’invention, vous la trouverez à l’intérieur, avec ces chambres déplaçables, qui revisitent le lit-clos breton et peuvent, à l’occasion, être déplacées à l’extérieur.
D’un architecte, les propriétaires auraient pu se passer, puisque la loi ne les y contraignait pas. La maison ne fait, en effet, que 69 m². Mais ils ont fait ce choix, et ils ont fait confiance, et les voilà dotés d’une maison de vacances à bien des égards incroyables, pour un montant très raisonnable.
Inciter les propriétaires à faire appel à un architecte pour des maisons, pour des petites surfaces, c’est enfin l’une des mesures phares de la loi que je porte et de la Stratégie nationale pour l’architecture. Avec les parlementaires, nous avons ainsi abaissé le seuil de recours à un architecte, de 170 à 150 m². Mais même en deçà, la présence de l’architecte a sa raison d’être. La moitié des maisons sélectionnées cette année étaient inférieures au seuil de 150 m². C’est bien la preuve que le terrain existe et que, si j’ose dire, il peut être occupé. Les propriétaires y gagneront : pour ceux qui font ce choix, nous allons expérimenter la baisse du délai d'instruction du permis de construire.
Voilà en quelques mots, à travers vos projets, ce que je souhaitais vous dire ce soir. L’architecture n’est pas uniquement le plaisir des grands gestes, des grands œuvres, des grands monuments, mais elle est un enjeu du quotidien et vous le savez mieux que personne. Elle améliore le cadre de vie des habitants. Elle s’adapte à leurs besoins et aux exigences de demain. Elle transfigure l’ordinaire.
Donner à l’ordinaire un goût d’extraordinaire, donner une épaisseur nouvelle à ce rêve de la maison individuelle dessinée par un architecte et le mettre à la portée de tous, voilà un projet bénéfique à chacun. A l’habitant, au paysage, à l’architecte. André Bloc disait rêver d’un monde où la frontière entre l’art et la vie n’existerait plus. Vous marchez sur cette voie aujourd’hui.
Merci à vous.