Une fouille préventive au niveau de la croisée du transept
Depuis juin 2021, le planning général des travaux de restauration de Notre-Dame de Paris placés sous la maîtrise d'ouvrage de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame et la maîtrise d’œuvre de l'architecture en chef des monuments historiques, intègre une opération de fouilles archéologiques au niveau de la croisée du transept. Dans ce secteur est envisagée la création d’une chape de répartition nécessaire au montage de l’échafaudage de la future flèche, exigeant un terrassement d’une quarantaine de centimètres sous le niveau de dallage actuel.
© Denis Gliksman, Inrap / Rndp
Au regard des travaux envisagés et de leur localisation en plein cœur de la cathédrale, la DRAC (service régional de l'archéologie) a donc prescrit une fouille d’archéologie préventive le 2 octobre 2021, sur une emprise de 120 m2.
Les objectifs scientifiques de cette opération étaient les suivants :
- mise en évidence et caractérisation des éléments antérieurs au niveau de dallage d'Eugène Viollet-le-Duc, et notamment des niveaux de chantier du 19e siècle, avec de possibles éléments plus anciens utilisés en remploi (notamment des éléments sculptés)
- mise en évidence d’éventuels éléments appartenant aux états antérieurs de la cathédrale gothique (état roman notamment), ou aux différentes étapes de construction de l’édifice (niveaux de fondations ; premier état du transept avant le prolongement des deux bras dans la seconde moitié du 13e siècle ; niveaux de dallage du 18e siècle…)
- mise en évidence d’éventuels éléments funéraires (ossuaires, caveaux…).
Premiers résultats de l’opération de fouille
Le 2 février 2022, la fouille préventive a démarré sous la responsabilité de Christophe BESNIER (responsable d’opération sur le terrain, Inrap). une première tranche ferme de trois semaines a été menée sur le terrain, suivie d’une tranche optionnelle de deux semaines. Au vu des découvertes, il a été décidé, en concertation avec l’Établissement public et la maîtrise d’œuvre, de poursuivre l’opération jusqu’au 25 mars 2022. Bien que déjà bien entamé par les travaux d’Eugène Viollet-le-Duc au 19e siècle, et notamment par les carneaux de chauffage en brique mis à nu dans le cadre de la fouille, ce secteur de la croisée du transept a révélé des vestiges d’une importance scientifique remarquable.
© Denis Gliksman, Inrap / Rndp
L’ensemble de l’emprise est recouvert par un radier empierré, daté au plus tard du 18e siècle. Ce radier est recoupé par de nombreuses sépultures en sarcophage, et repose sur des niveaux d’occupation datés du 14e siècle, lesquels sont installés sur des sols pouvant remonter au début du 13e siècle.
Deux découvertes majeures pour l’histoire de Notre-Dame
La fouille révèle dès à présent deux découvertes importantes : les fragments polychromes de l'ancien jubé de la cathédrale datant du 13e siècle et détruits au 18e siècle, et un sarcophage anthropomorphe en plomb, enfermant le corps que l'on imagine être celui d'un haut dignitaire de l'église inhumé au plus tard au 14e siècle.
© Denis Gliksman, Inrap / Rndp
Un sarcophage anthropomorphe en plomb intégralement conservé
Parmi les sépultures mises au jour, un sarcophage anthropomorphe en plomb intégralement conservé a été dégagé dans la partie ouest de l’emprise fouillée.
La première analyse du mobilier contenu dans le niveau de remblais le surmontant pourrait conduire à dater cette inhumation au plus tard du 14e siècle.
Au regard des caractéristiques et de la localisation du sarcophage, l’hypothèse d’une sépulture d’un haut dignitaire semble probable. Une caméra endoscopique a été introduite dans le sarcophage et a permis d’identifier la présence de restes végétaux sous la tête du défunt, de cheveux, de fragments de textile, ainsi que de la matière organique – l’ensemble suggérant un très bon état de conservation d’ensemble.
Découverte du sarcophage © photo : DRAC IDF / Dorothée Chaoui-Derieux
Mise en évidence d’une fosse dans laquelle ont été enfouis des éléments sculptés polychromes identifiés comme appartenant à l’ancien jubé de Notre-Dame
L’une des autres découvertes remarquables de cette opération est la mise en évidence, immédiatement sous le niveau de dallage actuel de la cathédrale, d’une fosse dans laquelle ont été enfouis des éléments sculptés polychromes identifiés comme appartenant à l’ancien jubé de Notre-Dame, construit vers 1230 et détruit au début du 18e siècle. Lors de ses travaux au milieu du 19e siècle, Viollet-le-Duc avait mis en évidence d’autres fragments appartenant à ce jubé, aujourd’hui exposés au musée du Louvre. Il s’agit là donc d’une découverte exceptionnelle, susceptible d’apporter de nombreuses données nouvelles sur ce jubé et sur la qualité de son décor peint.
La fouille ne représente que la première étape d’une phase d’étude
Pour fouiller les niveaux contenant les fragments polychromes de l’ancien jubé de Notre-Dame sous le niveau de dallage actuel disparu de Notre-Dame de Paris, les archéologues de l'INRAP ont obtenu un nouveau sursis. La date du 25 mars marquait normalement l’achèvement de la fouille. Mais l’Établissement public en charge de la reconstruction a consenti à sa poursuite jusqu'au vendredi 8 avril, du fait de la mise au jour de très nombreux éléments sculptés polychromes en parfait état de conservation.
Éléments sculptés polychromes identifiés comme appartenant à l’ancien jubé de Notre-Dame © photo DRAC IDF/ Dorothée Chaoui-Derieux
Dans cet agglomérat de pierres à la croisée du transept, se distinguent en effet les vestiges de cette clôture datée du 13e siècle. On y découvre d'importants détails sculptés, visages, mains, fragments de corps et de draperies, décors architecturaux ou végétaux. Le jubé médiéval compte parmi les derniers secrets de la cathédrale.
Éléments sculptés polychromes identifiés comme appartenant à l’ancien jubé de Notre-Dame © photo DRAC IDF/ Dorothée Chaoui-Derieux
La fouille archéologique qui s’achève sur le terrain le vendredi 8 avril ne représente que la première étape d’une phase d’étude qui va pouvoir se mettre en œuvre avec de multiples collaborations.
© Denis Gliksman, Inrap / Rndp
Concernant les fragments sculptés polychromes attribués au jubé du 13e siècle, des collaborations seront également envisagées, que ce soit avec le pôle polychromie du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), ou avec le Département des Sculptures du musée du Louvre, qui conserve certains fragments mis au jour lors des travaux de Viollet-le-Duc.
L’ensemble de ces découvertes représente donc un intérêt exceptionnel pour la compréhension de l’histoire de Notre-Dame de Paris.
Trois ans d’opérations archéologiques à Notre-Dame
La DRAC Île-de-France, maître d’ouvrage des travaux de consolidation et de sécurisation jusqu’à la création de l’établissement public en charge de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris en décembre 2019, a considéré dès le lendemain de l’incendie que les débris effondrés de la cathédrale n'étaient pas des "gravats" mais devaient être appréhendés comme des vestiges archéologiques et traités comme tels.
une "cathédrale de la mémoire de Notre-Dame"
Elle a ainsi assuré la coordination, en lien avec deux autres services du ministère (LRMH, C2RMF), du prélèvement et du tri de tous les vestiges effondrés au sol et sur les voûtes. Les vestiges ainsi recueillis – plus de 10 000 bois, près de 650 palettes de pierre, 350 palettes de métal – ont été placés sous la responsabilité de la DRAC, tant en raison de leur classement au titre des monuments historiques qu’en qualité de "biens archéologiques mobiliers".
Après avoir été stockés pendant près de deux ans dans des barnums sur le parvis de la cathédrale, ils sont désormais conservés dans des entrepôts loués par l’établissement public en charge de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris à Saint-Witz (Val-d’Oise), et désormais accessibles aux chercheurs du chantier scientifique, pour prélèvement et étude. Cet espace de stockage est devenu une "cathédrale de la mémoire de Notre-Dame".
Les vestiges effondrés au sol et sur les voûtes étant contaminés au plomb, des protocoles très stricts sont appliqués pour leur conservation et lors de leur manipulation.
© photo d'en-tête : DRAC IDF/ Dorothée Chaoui-Derieux
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