Éditorial
La "Journée internationale des droits des femmes", inspirée des luttes ouvrières du début du 20e siècle et des revendications pour le droit de vote des femmes et de meilleures conditions de travail, fut initiée par la militante Clara Zetkin en 1911. Le 8 mars est l’occasion de faire un bilan des combats et des luttes contre les inégalités entre les femmes et les hommes, de mesurer les avancées en même temps que les points de fragilité voire les reculs. Après l'adoption de la Loi Veil, Simone de Beauvoir rappelait de manière visionnaire :"Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis". Et en effet, nul ne peut ignorer les atteintes aux femmes et à leurs droits un peu partout dans le monde, qu’il s’agisse des crimes commis contre des femmes et des enfants en Ukraine, du recul du droit à l’avortement aux États-Unis, ou de l’asservissement des femmes dans de nombreux pays. Quand la parole des femmes se libère, comme c’est aujourd’hui le cas partout dans le monde, elle sidère par son ampleur, révélant au grand jour les violences et harcèlements sexuels et sexistes qu’elles subissent au quotidien. En ce 8 mars, rappelons que la DRAC Île-de-France s’est engagée de longue date dans ce combat, la labellisation par l’AFNOR depuis 2017 venant reconnaître cet engagement collectif. Le chemin est encore long vers l’égalité des droits : il nous mobilise toutes et tous aujourd’hui : il nécessitera demain encore notre plein engagement et une vigilance accrue.
Laurent ROTURIER, Directeur régional DRAC Île-de-France
Une place des femmes dans la culture qui s’améliore... mais un plafond de verre qui demeure
Les rapports remis par Reine Prat au ministère de la Culture en 2006 et 2009 ont pointé l’ampleur des inégalités touchant les femmes dans le monde de la culture, avec des institutions culturelles dirigées quasi exclusivement par des hommes (92 % des théâtres, 89 % des institutions musicales...). La situation a progressé en 15 ans, sans toutefois atteindre la parité. Reine Prat elle-même parle d’un plafond de verre persistant dans son Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture publié en 2021. Les chiffres les plus récents, qu’ils émanent du Haut-Conseil à l’égalité, de l’association HF ou du Syndeac, montrent que les femmes sont majoritaires dans les formations artistiques, mais minoritaires dans les postes à responsabilités ou parmi les artistes programmés. Un tiers seulement des artistes à l’affiche dans les théâtres subventionnés sont des femmes, et ce chiffre tombe même à 1 sur 5 dans les lieux de musique.
En Île-de-France, vers un changement d’ère
Les engagements du ministère de la Culture doivent permettre de rattraper le retard dans les structures relevant de sa compétence, que ce soit en termes de nominations, de conventionnement ou de rééquilibrage des moyens alloués aux femmes. En Île-de-France, la DRAC s’est employée, avec ses partenaires, à renouveler les directions de lieux labellisés en visant la parité : les nominations récentes de Pauline Bayle au Théâtre de Montreuil, Julie Deliquet au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Armelle Vernier au Théâtre 71 de Malakoff, Séverine Bouisset au théâtre des Gémeaux à Sceaux, Sandra Neveut à la Briqueterie de Vitry-sur-Seine, Marion Fouilland-Bousquet à la Ferme du Buisson en Seine-et-Marne, et en ce début d’année de Claire Dupont au Théâtre de la Bastille, incarnent ce changement d’ère et viennent inscrire cette volonté d’égalité pour la création francilienne. Parmi les 16 scènes nationales et centres dramatiques nationaux franciliens, la moitié sont désormais dirigés par des femmes, ainsi que les deux centres de développement chorégraphique de Paris et de Vitry-sur-Seine. La même priorité a été donnée au rééquilibrage des moyens alloués aux compagnies. Parmi les 80 nouvelles demandes de conventionnement de compagnies de théâtre et arts associés soumises à la DRAC, 9 compagnies nouvelles ont ainsi été conventionnées cette année, dont 6 dirigées par des femmes et 3 par des binômes femme/homme. Dans le champ chorégraphique, la parité est également au rendez-vous, avec plus de la moitié des compagnies soutenues par la DRAC qui sont dirigées par des femmes (aides au projet et conventionnements). Enfin, sur le champ des arts visuels, ce sont plus de la moitié des aides individuelles à la création qui sont attribuées à des artistes plasticiennes.
La feuille de route "égalité", document de référence pour les services du ministère de la Culture
C’est en 2017 que le ministère de la Culture s’est doté de sa première feuille de route "égalité". Couvrant trois années et régulièrement mise à jour, cette feuille de route fixe le cadre de l’intervention des services du ministère et les grandes priorités, avec des objectifs précis qui touchent à la fois au recrutement, à la carrière et à la formation des agents, aux nominations à la tête des structures labellisées, à la lutte contre les violences et harcèlements sexuels et sexistes, à l’égalité dans l’enseignement et les pratiques artistiques et culturelles, à la promotion des femmes et à la mixité des métiers, etc. Portée par la ministre, cette feuille de route est suivie et mise en œuvre par la Mission Diversité-Égalité du ministère de la Culture.
La DRAC Île-de-France, labellisée par l’AFNOR, porte un plan d’action ambitieux
Premier ministère à avoir bénéficié de la double labellisation AFNOR "égalité-diversité" en 2017, le ministère de la Culture a pu compter sur plusieurs volontaires pour intégrer le périmètre des services audités : la DRAC Île-de-France en était l’une des têtes de pont. La DRAC a élaboré les outils internes nécessaires à la labellisation, parmi lesquels un rapport de situation comparée intégré au bilan social, un état des lieux des risques de discriminations, une enquête de perception des discriminations, et un plan d’action qui a permis d’amorcer une véritable dynamique en interne. En 2022, le ministère de la Culture a bénéficié du renouvellement de cette double labellisation pour quatre années. La stratégie de la DRAC repose sur six axes déclinés en 12 actions opérationnelles qui touchent à la fois aux procédures internes et aux politiques portées sur les territoires. En termes de gouvernance, la priorité "égalité" est portée par le directeur régional et la directrice régionale adjointe avec l’appui du directeur de cabinet (référent égalité-diversité) et de la secrétaire générale adjointe (responsable prévention des discriminations). Un comité de pilotage interne, constitué de la direction et d’agents volontaires, se réunit deux fois par an pour suivre la mise en œuvre de cette priorité et apporter ses réflexions. Le sujet est également régulièrement abordé dans les réunions du CODIR de la DRAC avec l’ensemble des chefs et cheffes de service, et dans les instances de dialogue social. La DRAC participe enfin au réseau des référents « égalité » des services de l’État en Île-de-France (RÉGALIF) placé sous l’égide de la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE).
Lutter contre les violences et harcèlements sexuels et sexistes (VHSS)
Chaque semaine, en France, trois féminicides sont enregistrés et 1 800 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Les VHSS se sont imposées comme un sujet central ces dernières années, à la suite du mouvement #MeToo qui a révélé des violences systémiques dans la société, et notamment dans le monde du cinéma, de la musique, du théâtre ou des enseignements artistiques. Elles figurent au cœur de la feuille de route « égalité » du ministère. En interne, tous les agents du ministère de la Culture, de ses établissements publics et des écoles nationales supérieures ont accès à une cellule de signalement, d’écoute et d’accompagnement pour les victimes ou témoins de discriminations, que les faits surviennent dans le cadre professionnel ou dans la sphère familiale (numéro vert anonyme et gratuit : 0801 90 59 10, code ministère 1959). Depuis le 25 novembre 2021, les structures de spectacle vivant soutenues par le ministère de la Culture — et donc par la DRAC sur le territoire francilien - s’engagent également à lutter contre les VHSS dans le cadre du cahier des charges qui les lie à l’État. Les aides versées par la DRAC sont conditionnées à cinq engagements que doivent prendre les structures en termes de prévention, de signalement, de formation des encadrants, de sensibilisation des équipes et d’évaluation des actions menées.
Soutien à plusieurs projets associatifs franciliens
Depuis 2021, la DRAC a pris les arbitrages nécessaires pour se doter d’un budget spécifique afin d’accompagner des projets traitant de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et des violences et harcèlements sexuels et sexistes dans la culture (en parallèle des aides allouées au titre de la création, de l’EAC ou de l’économie culturelle à des projets qui intègrent parfois ces dimensions du genre ou de l’égalité filles-garçons). La DRAC a pu accompagner au titre de cette politique spécifique "égalité femmes-hommes" l’association HF Île-de-France pour l’organisation des "Journées du Matrimoine" et les expositions itinérantes dans les établissements scolaires notamment celle intitulée « Tu joues bien pour une fille » qui promeut les métiers de la musique auprès des jeunes filles ; ainsi que l’association "Les Femmes s’en mêlent" organisatrice d’un festival au plateau 100 % féminin qui propose depuis deux ans en marge de celui-ci un forum professionnel sur les violences faites aux femmes intitulé « Les Femmes s’engagent » qui a débouché sur une boîte à outils pour les professionnels. La DRAC a également participé à l’organisation d’un cycle de lectures/performances et de tables-rondes sur les VHSS proposé par l’association "Le Fil" au Théâtre de la Boutonnière à Paris et à la création du spectacle "Voix de femmes" en 2022, programmé notamment à Saint-Denis et sur le campus de l’ENS Paris-Saclay. Elle participe également au concours photo "Objectif Femmes" ouvert exclusivement à des femmes photographes professionnelles en 2023. Au titre de sa politique en faveur du cinéma, la DRAC soutient le Festival international de Films de Femmes de Créteil, qui ouvrira sa 45e édition du 24 mars au 2 avril 2023.
Le matrimoine : réparer les oublis de l’Histoire
La prise en compte des femmes dans le champ du patrimoine est l’une des préoccupations fortes de la DRAC, qui exerce des missions régaliennes en matière de monuments historiques ou d’archéologie. L’histoire de l’art, écrite quasi exclusivement par des hommes, a bien souvent passé sous silence la contribution essentielle des femmes. C’est l’une des vertus des "Journées du Matrimoine", portées par HF Île-de-France et soutenues par la DRAC pendant les « Journées européennes du patrimoine » en septembre, que de révéler au grand jour l’apport des femmes à notre héritage patrimonial. Dans le champ des musées, la DRAC porte une attention particulière aux maisons et ateliers de femmes artistes à travers l’appellation "Maisons des Illustres". La DRAC soutient également des projets singuliers tels que le festival "Un temps pour Elles" d’Héloïse Luzzati visant à réhabiliter les femmes compositrices et permettre que leurs œuvres soient connues et jouées dans le monde entier.
Une culture de l’égalité partagée et participative
Parmi les actions que la DRAC porte en interne, l’angle participatif et collaboratif est privilégié afin de faire adhérer l’ensemble des agents à cette "culture de l’égalité". C’est ainsi que le 8 mars 2022, après un appel à propositions et un vote des agents, l’ensemble des salles de réunion et espaces communs de la DRAC ont reçu le nom d’une personnalité féminine des arts ou du patrimoine ayant un lien avec la région. Parmi 70 noms proposés, Nadia et Lili Boulanger, Jeanne Laurent, Rosa Bonheur, Rose Valland, Marguerite Huré, Charlotte Delbo, Charlotte Perriand et Alice Guy ont emporté les suffrages. Les salles portent désormais leurs noms, avec une biographie à l’entrée de chacune d’elles. Les expertes de la DRAC sont également mises à contribution régulièrement pour illustrer, à travers des témoignages sous forme d’interview écrite ou vidéo, les grands événements nationaux du ministère de la Culture, et leur expertise choisie en priorité pour répondre aux sollicitations de la presse, afin que les métiers de la DRAC soient vus « au féminin » et suscitent des vocations chez les jeunes filles, en particulier dans les métiers du patrimoine.
Titres et fonctions s’écrivent (aussi) au féminin
Le fameux "point médian" n’est pas accepté dans les documents administratifs. L’écriture peut en revanche être "inclusive" de bien d’autres manières : la DRAC met ainsi un point d’honneur à féminiser systématiquement les titres et fonctions dans ses correspondances ainsi que dans ses notes internes et externes : on parle ainsi d’une cheffe, d’une directrice, d’une préfète, d’une maire, d’une sénatrice, d’une députée, d’une conservatrice, d’une technicienne, etc. La grammaire française ne disposant pas du neutre, le masculin en fait office lorsqu’une féminisation du nom n’est pas possible. Par ailleurs, l’usage des termes épicènes est favorisé autant que possible, et les agents de la DRAC sont régulièrement invités à se référer au Guide pratique pour une communication publique sans stéréotypes de sexe publié par le Haut-conseil à l’égalité à la Documentation française.
Perspectives : une montée en puissance en 2023
La DRAC poursuit la mise en œuvre de son plan d’action en 2023 et développe de nouvelles actions et réflexions :
- Augmentation de l’enveloppe consacrée au soutien des projets associatifs promouvant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la culture et la lutte contre les violences faites aux femmes dans le champ culturel ;
- Élaboration d’une convention d’objectifs avec la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) ;
- Conventionnement de l’association HF IDF afin de structurer son action sur le long terme, notamment sur le volet " matrimoine" ;
- Engagement des structures labellisées dans la lutte contre les VHSS ;
- Réflexion à porter sur l’observation des inégalités femmes-hommes dans la culture en Île-de-France ;
- Formation des encadrants et des agents de la DRAC
Illustration signée Victoria Roussel
Afin d’illustrer ce document, la DRAC a fait appel à Victoria Roussel, illustratrice qui vit et travaille à Paris. Fascinée par la nature, son travail retranscrit cet amour inconditionnel du vivant. De son imagination naissent des paysages colorés, des personnages fantastiques qui souvent dialoguent et se rencontrent. Ces combinaisons insolites lui ont permis d’illustrer sur de nombreux supports et avec des clients tels que la SNCF, Perrier, Les Échos, Actes Sud et bien d’autres. Naviguant depuis le début de ses études dans le secteur de la culture, les enjeux des luttes féministes et les questions de parité sont pour elle cruciales. Pour cette illustration, l’artiste a souhaité aller au-delà des métiers médiatisés et représenter toutes les facettes et la richesse des carrières culturelles. Elle a voulu dessiner des métiers physiques, de terrain, comme des archéologues et régisseuses, mais aussi des métiers décisionnaires comme des directrices de lieux et des élues, le tout dans un lieu où elles peuvent être ambitieuses, dans un environnement foisonnant et bienveillant.
La DRAC engagée pour les droits des femmes (dépliant à télécharger)
© illustration Victoria Roussel
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